Un texte prend toute sa puissance lorsqu'il est dit. Le roman Gare du Nord, de Abdelkader Djemaï, n'échappe pas à la règle. L'adaptation théâtrale réalisée admirablement par Alain Bauguil du théâtre Le Fenouillet (Saint-Gervais sur Roubion, Drôme) et André Geyré, avec la complicité de la Compagnie des 36 ports, donne vie à ce récit des trois chibanis perdus dans Paris, cette ville « lourde et lente, d'acier, de béton et de sueur. Ils marchent silencieux et droits, avant que l'ombre ne les absorbe et ne sèche leurs rêves ». Ces trois anciens travailleurs, désormais en retraite, sont arrivés en France dans les années 1950. Ils ne sont plus que deux. Le troisième vient de mourir, au moment de la rupture du jeûne, au pays, au cours d'un voyage repoussé depuis des années... Après une vie de labeur, ils sont toujours là, dans la capitale française, avec comme centre de leur existence, le foyer, le café, et la Gare du Nord, où la vue du tumulte humain leur redonne du tonus. Le narrateur est Med, Algérien né en France. Il restitue avec des mots colorés et tendres leur mémoire, à travers leurs tribulations, leurs voyages... Ils ont connu Marseille, Vénissieux et, enfin Paris. Ils parlent de leur vie quotidienne, de leur travail souvent pénible, de leurs amours, de leurs familles, de l'amitié... Abdelkader Djemaï était visiblement ému lors de la création de la version scénographique par des comédiens qui sont restés proches du texte, sous le titre Bonbon, Barolo et Zalamite. Pour la première fois, l'écrivain a vu ses personnages aux noms si colorés, vivre pour de vrai, sortir du gris des pages pour avoir une existence propre, presque avoir leur autonomie. Et c'est aussi ce qu'a ressenti le public qui avait lu le roman publié en 2003 aux éditions du Seuil. Alain Bauguil a créé son théâtre rural dans les années 1980, abandonnant le faste officiel du théâtre lyonnais, inventant une forme de création proche des gens. Il sillonne la France et joue parfois des rôles dans des films, sa dernière apparition étant dans La fille coupée en deux, de Claude Chabrol, sorti en été 2007. Abdelkader Djemaï, écrivain algérien, est né à Oran en 1948. Il vit en France depuis 1993. Ancien journaliste d'El Moudjahid à l'agence d'Oran, il est auteur d'une douzaine de livres dont —aux éditions Michalon — Un été de cendres, Le Caire qui bat, Camus à Oran et au Seuil, Camping, Le nez sur la vitre et Gare du Nord. Il prépare un nouveau roman, qui paraîtra dans quelques semaines au Seuil, Train de vie.