Neuf ministres de la République sont issus de la wilaya de Tlemcen, dont trois de la même tribu de M'sirda, près de Maghnia. Tlemcen et Nedroma se partagent le reste… Tlemcen. De notre bureau Il serait très injuste de considérer Tlemcen comme wilaya privilégiée, en se basant sur l'origine des ministres de cette région frontalière qui composent le gouvernement actuel. « C'est un raisonnement simpliste dont ont été victimes nos concitoyens de l'est du pays quand, par le passé, les rênes du pouvoir étaient entre les mains des gens de cette partie de l'Algérie. Nous aussi, nous tombions dans ce piège et nous le regrettons aujourd'hui. La vérité est que si des hommes qui forment le pouvoir, aujourd'hui, sont issus de notre région, il faut savoir que nous ne sommes pas le pouvoir », affirme d'emblée, quasiment en colère, un sociologue de la région frontalière. « La seule reconnaissance qu'on pourrait avoir pour "ces fils du bled", c'est la construction des tribunaux et des projets de prisons dans notre région, comme s'ils veulent tous nous juger et nous incarcérer », disent amèrement les autochtones. « UNE REFERENCE QUI NE NOUS REND PAS SERVICE » Une « reconnaissance » dite sur un ton de dérision. « Savez-vous qu'une circulaire ministérielle, datée de 2005, a érigé une sorte de nouvelles frontières à 35 km de Maghnia (carrefour entre la bande frontalière, Tlemcen et Oran) et assujettissant tous les commerçants à déclarer leurs marchandises locales ou importées aux postes de la Douane et de la Gendarmerie nationale implantés définitivement sur les lieux, alors que la véritable frontière avec le Maroc est devenue une passoire ? Voyez-vous la récompense de nos ministres ? Avoir de la région le président de la République, des ministres et toute une panoplie de conseillers de la haute sphère ne nous sert nullement. Nous n'en tirons aucun profit ni mérite. Le plus malheureux, c'est cette référence de citoyens privilégiés dont on nous affuble et qui, en vérité, ne nous rend pas service », déclare un citoyen qui parle de malédiction. Cependant, si les citoyens de cette région ouest rejettent « tout honneur acquis grâce à cette référence », des hommes de Nedroma, de Tlemcen et de Maghnia sans statut, se morfondant dans leur anonymat depuis des lustres, se sont retrouvés projetés au-devant de la scène, depuis l'intronisation du président Bouteflika. Des hommes inconnus se sont redécouverts des liens de parenté avec tel ou tel ministre ou carrément avec le chef de l'Etat et sont devenus la qibla des promotions, le sésame aux énigmes les plus insolubles. Qui ne connaît pas ce maçon, par exemple qui, se rappelant qu'il était cousin du président, s'est rapidement transformé en personnalité locale accompagnant le wali dans toutes ses sorties officielles ? Pour les mémoires courtes, à l'époque où Ahmed Ben Bella était en prison, il n'était pas conseillé de se déclarer Maghnaoui. Et tout slogan ou témoignage au bénéfice du premier président de la République était passible de représailles. « A l'époque, se rappelle un enseignant, lorsque on gribouillait sur les murs le nom de Ben Bella, le lendemain, tous les jeunes du quartier étaient embarqués et torturés. Enfin, toute la ville était bannie par le pouvoir. Aujourd'hui, Ben Bella est réhabilité, mais pas la population. » Pire, une « secte » est née avec cette réhabilitation et bénéficie de sa part de privilèges. « Ce qui nous torture, aujourd'hui, ce sont ces walis qui, oubliant qu'ils sont des commis de l'Etat et au service du peuple, se sont entourés de gens, mis sur le compte de nos ministres et du président de la République, pour se refaire une virginité et se garantir une pérennité dans la région. Dans notre wilaya, ceux qui en profitent sont les proches des hommes du pouvoir et ceux qui s'en considèrent ainsi. » HOSTILITE DE CERTAINS MINISTRES C'est connu : dans cette région, l'administration est réputée pour sa rigidité. Pour obtenir une simple carte grise, il faut attendre plus d'une année. Pour avoir une autorisation de creusage de puits, il faut avoir les coudées franches. Et pour « gagner » une audience avec le chef de l'exécutif, il faut passer par les sbires des gens du pouvoir local, élevés à ce statut depuis 1999. Depuis cette date, des personnes se sont subitement enrichies grâce à des projets octroyés dans tous les cadres (investissements suspects, PNDRA, FNDRA…) au même moment où le reste des Algériens s'est davantage appauvri. « Pour certains, c'est facile de construire des bâtisses à proximité des ruines de Mansourah, en dépit de l'interdiction de la loi. Pour la majorité, il est impossible de demander un simple droit se résumant à l'obtention d'une régularisation ou un livret foncier. Ce qui est permis pour les uns est interdit pour les autres. » Tlemcen pâtit trop de ses fils au pouvoir au point où un jour, le wali, n'étant pas en odeur de sainteté avec un représentant du gouvernement, ne s'était pas gêné devant des élus de l'APW et des journalistes pour dénoncer un fait curieux. « J'ai longtemps bataillé pour ramener un hôpital spécialisé à Tlemcen, un de vos ministres (de la wilaya de Tlemcen) s'y était fermement opposé et l'a délocalisé dans une autre wilaya. » Un aveu qui confirme l'indifférence, presque l'hostilité de certains de ces ministres à leur région. Une attitude assimilée à une sorte de dédouanement de ces ministres qui veulent être des ministres de la République et pas d'une contrée, comme s'est proposé de nous l'expliquer, sans en être prié, le proche d'un ministre. « Nous ne leur demandons rien, justement, sauf se comporter comme des ministres de la République parce que nous ne voulons pas être plus que des Algériens, comme tous les autres », rétorquent de humbles citoyens à cette justification sentant la provocation. Ah, si tous les platanes de Tlemcen se mettaient à parler…