Au IVe siècle avant J.C, Hérostrate, un homme sans qualité, décide d'incendier le temple de Diane à Ephèse, l'une des Sept Merveilles du monde. Son mobile étant, ce faisant, de gagner la postérité. Sa punition a été la mort et l'interdiction à jamais de prononcer son nom. Grigori Gorine, auteur russe, s'est saisi de ce prétexte pour écrire Oubliez Hérostrate !, une rude pièce dont la prenante intrigue est semée à profusion de rebondissements et de bifurcations. Mise en scène par Haïder Ben Houcine, Oubliez Hérostrate ! aura constitué une leçon de théâtre dans la continuité de ces rares perles que la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe » a donné à voir à la maison de la culture de Aïn Témouchent. Une leçon au même titre que les En attendant Godot et La Grotte éclatée, mais à la différence qu'elle a été administrée par quelqu'un qui est à sa première mise en scène, un premier coup traduit en coup de maître. Aussi, un grand merci à Haïder, qui, le temps d'une soirée, a réconcilié avec le 4e art un public de théâtre en cours de constitution à Témouchent, contredisant, une fois de plus, les charlatans qui parasitent le théâtre algérien et qui clament qu'un théâtre exigeant, un théâtre dit injustement élitiste, passe bien la rampe auprès du large public lorsque ce dernier sent qu'on l'élève tout en lui donnant du plaisir. Le secret ? Un bon texte dans un arabe classique au service du théâtre et non l'inverse, une bonne mise en scène appuyée par une intelligente scénographie, une discrète musique en soutien et des comédiens talentueux. Merci à eux aussi : Abdelhalim Rahmoune qui s'est rattrapé de quelques approximatives scénographies commises récemment et Hassan Lamamra pour sa musique. Bravo à Samia Meziane qui s'est rapidement affirmée sur le grand écran comme sur la scène de théâtre. En Clémentine, princesse narcissique et manipulatrice, elle a donné la mesure de ce qu'elle est capable à l'avenir. Boukraâ Nouar, en prêtresse de l'Artémis, a fait une honnête prestation. Toufik Rabhi, en veule et vil usurier, a composé un personnage haut en couleur, surfant sur la ligne rouge qui aurait pu le faire basculer dans la facilité de la caricature. Mohamed Laïd Kabouche, en vieillissant et velléitaire prince, n'avait rien à prouver. Face à lui, en Cléon, un intègre magistrat jaloux gardien des valeurs de la cité, Kilani Haroun a été d'une rare justesse dans la posture et le ton. Abdelhalim Zouibie, en geôlier corrompu, a confirmé une nouvelle fois qu'il est une grosse pointure. Quant à Mustapha Safrani, en Hérostrate, il a été époustouflant. Enfin, Haïder s'est distribué efficacement dans son propre rôle, celui de l'homme théâtre, tout à la fois coryphée et protagoniste, interrogeant les personnages et le mythe qu'ils ont fondé. De la sorte, Oubliez Hérostrate ! ne met pas seulement en évidence la vanité d'édicter l'amnésie, elle a également, à travers sa galerie de personnages, illustré ce que la nature humaine a de sublime ou de méprisable. Sa mise en scène, d'une facture classique, ne s'est pas privé de souligner le trait jusqu'à la démesure, le comique dans cette tragicomédie surgissant, lorsque l'on s'y attend le moins, pour ajouter un peu plus de désillusion ou de pathétisme. Enfin, et sans tomber dans l'artifice qu'en ont fait d'autres avant lui, Haïder a su nous introduire au cœur de l'action, lorsqu'un personnage surgissant de l'arrière salle, accroissant l'espace scénique et impliquant le public qui se retrouve protagoniste impuissant face au déferlement des passions humaines. Allez voir Oubliez Hérostrate ! et rappelez-vous, pour l'avenir, le nom de Haïder Ben Houcine.