Chafia Mentalecheta fait partie des principaux initiateurs du réseau des Algériens de France et Franco-algériens qui a tenu sa 3e grande réunion le 11 décembre. Ce réseau (voir nos précédentes éditions) regroupe des associations et des individualités qui veulent « partager » leurs compétences dans la « concertation » avec leur pays d'origine, l'Algérie, et compter dans leur autre pays d'accueil ou d'adoption, la France, pour « être visibles » et « compter ». Pour ce faire, il faut se rassembler et compter. Déçue par la position de retrait du Parti socialiste sur des questions comme l'égalité des chances, la lutte contre les discriminations, par l'absence de propositions en direction des jeunes en difficulté dans les quartiers populaires, Chafia Mentalecheta, en charge de la question des discriminations au PS, a remis son mandat national l'an dernier et poursuit son combat en dehors des structures de son parti. Dans une lettre ouverte, vous proposez à ceux qui veulent rejoindre le rassemblement un rôle de bâtisseurs. Que voulez-vous bâtir ? Un bâtisseur c'est quelqu'un qui laisse quelque chose derrière lui. Je voudrais que l'on construise quelque chose qui puisse servir aux générations futures. Des bâtisseurs en France, mais aussi en Algérie. J'ai beaucoup d'ambition pour ce rassemblement, parce que je voudrais tellement que nos enfants puissent évoluer sereinement, ici et là-bas sans être stigmatisés. La passerelle, il va falloir la construire sur des fondations solides. Le mal-être identitaire de beaucoup de jeunes n'est-il pas qu'ils ne se sentent ni d'ici ni de là-bas ? N'est-il pas aussi alimenté par un problème de vocabulaire, de qualificatif ? Français d'origine algérienne ? Ou Algériens de France ? C'est vrai. Pendant les années 1960, il y avait en France une vraie culture de l'émigration dans la communauté algérienne. A partir des années 1973/1975, la politique française d'assimilation qu'on nommait intégration a abouti à l'acculturation d'une génération qui ne sait pas grand-chose ni de la France ni de l'Algérie, qui s'est fabriqué sa propre culture mélangeant le rap, le reggae, le raï, on pourrait dire culture citoyenne du monde, mais je pense qu'on ne peut pas être un vrai citoyen du monde, si on ne sait pas d'où viennent ses racines. Je suis de ceux qui pensent que chaque mot a un sens. Les Franco-Algériens, pour moi ce n'est pas la même chose que les Algériens de France. Les Franco-Algériens ce sont les binationaux. C'est la même communauté mais pas forcément avec la même inscription dans la cité. Moi je suis Franco-Algérienne de souche, ma mère est Auvergnate, mon père est Algérien. Je suis née en France et j'ai vécu en Algérie jusqu'en 1983, j'y ai fait toutes mes études. L'Algérie, c'est mon pays, la France c'est mon pays. Je suis comme un poisson dans l'eau dans les deux pays. Sans malaise ? Pas à mon âge. On a tous souffert de l'immigration, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. En France, j'étais la fille de l'Arabe, en Algérie, petite, les enfants de mon quartier m'appelaient la fille de la Française. J'étais stigmatisée là-bas comme ici par rapport à l'origine de mes parents. La volonté de se rassembler arrive-t-elle enfin à maturité ? Je crois que oui et j'en ai pour preuve les dizaines et dizaines de réactions à ma lettre ouverte de la part de gens que je ne connaissais pas et qui sont venus à nos rencontres. Cela veut dire que notre projet est arrivé à maturation et ceux qui sont toujours dans la suspicion, j'avais peur qu'ils soient la majorité, je me rends compte qu'ils sont la minorité. Cela veut dire que ceux-là, il va falloir qu'on continue de travailler avec eux pour les amener tout doucement à cette maturité qu'ont la majorité d'entre nous. Qu'est-ce qui a fait qu'on n'a pas réussi à se rassembler jusque-là ? Je pense que cela relève de notre histoire coloniale et postcoloniale. D'abord ce clivage des Franco-Algériens entre harkis et indépendantistes, ensuite l'histoire de l'Algérie indépendante, qui a fait que chacun s'est replié sur lui-même, qui a essayé de construire quelque chose de personnel dans une sphère très limitée, parce qu'on avait toujours peur de se faire manipuler, mais moi je dis que les gens qui se font manipuler, c'est parce qu'ils ont envie de l'être. Qu'est-ce qui fera la force de ce rassemblement ? Qu'est-ce qui va le caractériser ? Il va falloir qu'on passe par la réussite d'une action commune, qui, médiatiquement soit perçue comme commune. Ce qui suscitera de l'émulation. A la toute première réunion, mon fils aîné m'accompagnait, ce que j'ai vu dans ses yeux m'a conforté dans notre démarche. Je me dis, que si on a fait du bien à mon fils, on est capable d'en faire à beaucoup d'autres jeunes. C'est cela l'ambition de notre projet. On ne va pas créer un parti politique des Franco-Algériens. La neutralité politique est importante, si on veut faire de ce rassemblement une réussite. C'est par nos actions, par nos comportements de tous les jours en qualité de rassemblement que l'Etat algérien va apprendre aussi à nous connaître. L'Etat algérien doit aussi savoir que si on ne veut pas s'impliquer politiquement en Algérie, on est, et, on sera toujours des Algériens. On ne pourra pas faire sans nous. Et nous, on ne veut pas faire sans les Algériens d'Algérie. Dans la confiance. Nous tous, pris individuellement, on va bien, on n'a besoin de personne pour être insérés en France, par contre, on a tous besoin des uns et des autres pour revaloriser notre image, pour construire collectivement. Il ne faut laisser personne sur le bord de la route, y compris les gens qui nous regardent de manière un peu suspicieuse. Ils vont peut-être s'exclure eux-mêmes momentanément du groupe, mais notre devoir est de créer l'émulation et de les ramener à nous, parce que je pense très sincèrement que c'est l'union qui fait la force. C' est parce que jusqu'à aujourd'hui, on a été désunis, que dans la société française, il n'y a pas de vraie représentation politique au niveau des municipalités, à l'Assemblée nationale, au Sénat. On a laissé à l'abandon les quartiers populaires où on ne s'est pas impliqué parce qu'on était d'abord dans un engagement personnel, mais maintenant que celui-ci est réussi, on pourra s'occuper de ceux qui sont en difficulté. Comment ce rassemblement va-t-il se formaliser ? On va avoir deux niveaux d'intervention. Le premier niveau, qui est fondamental, c'est cette convivialité, ces rencontres qui donnent déjà des fruits. Des gens qui ne se connaissaient pas, de secteurs professionnels différents, ont tissé des liens et vont travailler ensemble. Le deuxième niveau d'intervention sera plus opérationnel. Un comité de pilotage regroupant des têtes de réseaux, des responsables d'associations de chaque secteur d'activité, des individualités est mis en place. Autour de Ghaleb Bencheikh, un groupe va rédiger un projet de charte basé sur les principes actés lors de la seconde réunion (ndlr El Watan du 17 décembre 2007). Nous avons toute l'année pour nous donner les moyens de pérenniser notre initiative. Ce comité de pilotage aura aussi pour objet de définir et de proposer des premières actions qu'on pourra tous partager. Sur proposition de Nadia Bennacer, présidente de ICE, nous aurons à préparer une journée de coatching professionnel en direction des jeunes d'ici mai-juin. Pourquoi faire du lien à l'Algérie le fondement du rassemblement ? Parce que c'est ce qui nous rassemble, un lien indéfectible nous unit à notre patrie d'origine. Dès notre première rencontre, nous l'avons posé comme fondement de notre union. Mais il faut d'abord qu'on arrive à se rencontrer, à se retrouver, à se respecter, nous les Franco-Algériens et les Algériens de France. Nous devons tirer les leçons de l'histoire des organisations qui se sont montées et qui ont capoté parce qu'il y a eu des suspensions, des intérêts cachés, des arrières- pensées. Nous avons un travail supplémentaire à faire, celui de lever ces suspicions pour permettre d'accueillir le plus grand nombre. Mon rêve c'est de permettre à des jeunes qui ne connaissent rien de l'Algérie de redécouvrir le pays d'origine de leurs parents et d'utiliser cette découverte pour acquérir des compétences professionnelles. Si demain des grandes entreprises algériennes prenaient des jeunes Franco-Algériens des quartiers populaires en stage pendant quatre mois pour vivre en situation des jeunes d'Algérie, cela leur permettra de rétablir un peu les choses dans leur tête, et peut-être revisiter leurs conditions de vie ici, en France. Et faire la même chose ici pour des jeunes d'Algérie. En France, les Algériens sont très impliqués dans le milieu associatif avec une vraie légitimité, une vraie connaissance du terrain. Ce qui nous met en capacité d'apporter une vraie expertise sur des questions de précarité ou des difficultés liées au quotidien.