L'armée turque pourrait-elle aussi avoir mis les pieds dans un bourbier alors qu'elle croyait avoir engagé des actions ponctuelles et de courte durée, comme celles qu'elle mène généralement depuis des années. Des actions qui ont prouvé leurs limites voire leur inefficacité dans une guerre contre une guérilla menée par le mouvement séparatiste kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). L'action engagée depuis jeudi se poursuit toujours, un fait plutôt rare, et, par voie de conséquence, une telle durée laisse penser que l'objectif n'a pas été atteint, et qu'il n'est plus possible d'entretenir le silence à l'égard des autorités turques et même les pertes subies de part et d'autre. Les troupes turques étaient encore engagées hier dans de violents combats avec les rebelles kurdes, alors qu'elles tentaient de prendre le contrôle d'un de leurs camps dans le nord de l'Irak. Des membres des forces armées kurdes de la région autonome du nord de l'Irak ont déclaré que des combats intenses se poursuivaient sans interruption depuis dimanche soir autour du camp de Zap, que les troupes turques soutenues par des tirs d'artillerie et une couverture aérienne s'efforçaient de conquérir. Le camp, situé dans une profonde vallée à 6 km de la frontière turque, est un des principaux points de passage utilisés par les rebelles du PKK pour s'infiltrer en Turquie et y mener des actions. Les affrontements se poursuivaient aussi depuis lundi soir dans la région montagneuse de Hakurk, plus à l'est, où l'armée turque a déposé des troupes par hélicoptère, tandis que des hélicoptères d'attaque bombardaient des positions du PKK, selon ces sources. Au moins 153 rebelles kurdes et 17 soldats turcs ont été tués jusque-là, selon l'armée turque. Le dernier bilan fourni par le PKK faisait état d'au moins 81 soldats et de trois rebelles tués. L'aviation a frappé une trentaine d'objectifs dans le nord de l'Irak sur la ligne de progression des troupes turques et les hélicoptères ont effectué des raids toute la journée. En termes d'impact politique, il est variable d'une ville turque à l'autre. A Ankara, le président Abdullah Gül, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le général commandant l'état-major Yasar Büyükanit ont assisté lundi aux côtés de milliers de personnes aux obsèques de trois officiers tués dans l'opération, ponctuées d'imprécations contre le PKK. A Diyarbakir, la principale ville du sud-est de la Turquie, peuplée en majorité de Kurdes, par contre, plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour réclamer la fin de l'opération, scandant des slogans hostiles au gouvernement et favorables aux rebelles. Au plan international, la Turquie a assuré que l'offensive avait pour seul objectif le PKK et que ses troupes regagneraient le territoire turc aussitôt leur mission achevée. Plutôt mal à l'aise face aux réactions populaires, Baghdad et Washington ont enjoint Ankara de faire preuve de modération et de rapatrier les troupes, au plus tôt. Les Etats-Unis fournissent depuis plusieurs mois des renseignements en temps réel sur les déplacements des rebelles dans le nord de l'Irak. Ankara estime à environ 4000 le nombre de rebelles retranchés dans le nord de l'Irak. Le conflit kurde en Turquie a fait plus de 37 000 morts depuis le début en 1984 de l'insurrection du PKK, considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, l'Union européenne et les Etats-Unis. Comment en sortir, et surtout comment agir sans courir le risque sinon aggraver le risque d'une déstabilisation de l'ensemble de la région ? Si cette incursion venait à durer encore longtemps, le PKK ne manquera pas alors de dire qu'il a réussi à attirer dans un guêpier l'une des plus fortes armées de la région, avec ce que cela suppose comme gains au plan politique.