Au moment où les terroristes repentis perçoivent des rentes, les patriotes sont désarmés et livrés à eux-mêmes. Certains sont poursuivis en justice par les familles des terroristes. Il y a deux ans, Abdennouri Mustapha, un garde communal de Collo, s'est donné la mort en se tirant une balle dans la tête, laissant derrière lui une veuve et trois enfants en bas âge. Le défunt qui vivait avec sa famille dans une baraque de 3 m2 – construite en zinc – n'a pu supporter de voir ceux qui ont bouleversé sa vie et celle de son village, revenir vivre parmi les leurs en toute impunité. Son cas n'est pas isolé. Ils sont nombreux ces patriotes qui, comme lui, rongés par le sentiment de trahison et d'abandon, ont fini par retourner l'arme contre leur propre personne. Les premiers à être sacrifiés Eux qui ont servi de rempart solide contre la terreur des groupes islamistes armés durant les années 1990, au moment où l'Etat n'arrivait plus à assumer son rôle de protecteur des biens et des personnes. Dans un élan de patriotisme, ils ont pris les armes pour défendre un pays presque à genoux. Beaucoup y laisseront leur vie, celles de leurs proches, leur gagne-pain et même leur toit. Quelques années plus tard, ils se voient les premiers à être sacrifiés sur l'autel d'une politique du pardon à sens unique, sans devoir de justice, imposée dans le cadre de la concorde civile puis de la réconciliation nationale. Beaucoup seront désarmés, coupés de l'aide sociale, ou carrément traduits en justice, à la suite de plaintes déposées contre eux par des familles de terroristes. Mercredi dernier, le dernier groupe constitué de 24 patriotes de Haouch Grau, à Boufarik, ont été désarmés pour avoir réclamé leur droit à une protection sociale. Mokhtar Sellami, s'exprimant en leur nom, s'est déclaré offusqué par une telle décision. « En tant que volontaires, nous avons le droit de refuser d'aller travailler en dehors de notre zone. Nous voulons que notre statut soit clarifié et que nos droits soient préservés. Nous refusons de continuer à toucher une indemnisation de 11 000 DA, utilisée souvent comme chantage contre nos éléments (...) Aujourd'hui, ils viennent nous prendre les armes pour nous livrer pieds et poings liés aux terroristes. Comment allons-nous nous défendre si les terroristes viennent se venger de notre engagement ? N'est-ce pas une manière de nous livrer à eux ? », déclare Mokhtar Sellami. La même colère est exprimée par Hadj Fergane, qui dirigeait les patriotes de Relizane. « Nous étions les premiers à avoir été victimes de la politique du pardon, à travers les actions en justice engagées par les familles des terroristes. Bon nombre d'entre nous ont été désarmés, puis traînés comme de vulgaires délinquants devant les tribunaux, juste pour avoir défendu l'honneur de nos familles et celles de nos proches... », note Hadj Fergane. « Une décision politique » Comme lui, Smaïl Dahmani, patriote de Saïda, ne manque pas de relever que les représailles contre son groupe ont commencé dès 2001, lorsque l'idée de se structurer autour d'une organisation nationale a été lancée. « La décision de désarmer le groupe était politique. Les autorités ont très mal perçu l'idée que les patriotes s'organisent pour défendre leurs droits au moment où les terroristes étaient bien pris en charge par l'Etat dans le cadre de la concorde civile. Nous avons été sacrifiés... », explique Dahmani. Abondant dans le même sens, de nombreux patriotes de Souk Ahras se disent « trahis » par l'Etat. Le châtiment réservé à leur compagnon héroïque, M. Gherbi, condamné à une peine de 20 ans de réclusion criminelle pour avoir tué un émir repenti qui le menaçait de mort, est très vivace dans leur mémoire. « Ce patriote, ancien moudjahid, ayant pris le premier les armes contre les terroristes, se retrouve aujourd'hui dans une cellule, oublié de tous les siens. Lui qui n'arrivait pas à supporter de voir cet émir repenti venir le menacer de mort. Son cas a fait des émules, puisque d'autres patriotes, très nombreux, sont menacés de poursuites judiciaires par des familles de terroristes. La concorde et la réconciliation nationale ont été faites pour protéger les terroristes, ceux qui ont mis le pays à feu et à sang, au détriment de ceux qui l'ont défendu au prix de leur vie », déclare Taâ Rebaï, patriote de Souk Ahras. Partout dans le pays, les patriotes vivent des situations dramatiques, non seulement d'ordre psychologique et moral, mais surtout d'ordre social, du fait de la précarité de leur vie, au moment où des terroristes repentis, graciés ou élargis, bénéficient d'une rente, dans le cadre de leur indemnisation par l'Etat. La question qui reste lourdement posée est de savoir si ceux qui ont transformé les bourreaux en héros et les héros en bourreaux ont réfléchi aux graves conséquences d'une telle compromission sur les générations futures.