Deux patriotes vivent depuis plus de trois ans sous la menace d'un procès pour « acte de barbarie, enlèvement et assassinat ». Tragique et scandaleux est le sort des deux frères Mohamed Abdelkader et Hocine. Originaires de Jedioua, wilaya de Relizane, ils n'ont jamais pensé qu'un jour leur statut de patriote bascule subitement, pour se transformer en celui de terroristes poursuivis par la justice française pour « acte de barbarie, enlèvement et assassinat ». Racontée par leur père, un ancien combattant de la révolution, membre de l'ONM, leur histoire interpelle toutes les consciences. Samedi dernier, lors du forum d'El Moudjahid, consacré à la situation des deux patriotes, et devant un parterre de nombreux patriotes, militants de droits de l'homme et membres d'associations de familles de victimes du terrorisme, Mme Saïda Benhabyles, présidente du mouvement pour la solidarité avec la famille rurale, a lancé un véritable cri de détresse afin de sensibiliser l'opinion publique sur cette affaire, car dit-elle, « si ces deux patriotes sont condamnés, la brèche sera ouverte pour poursuivre tous ceux qui hier ont défendu leur patrie et leur honneur ». Le père des deux patriotes revient sur la genèse de l'affaire et raconte qu'après avoir été grièvement blessé à la tête par un groupe de terroristes en 1994, son fils Abdelkader est rentré de France où il résidait pour se consacrer à sa famille. En 1995, sur insistance du wali, il accepte de prendre les rênes de la commune de Hmadna en tant que président de la délégation exécutive communale (DEC) en dépit des menaces de mort, alors que son frère Hocine était vice-président de la DEC de Relizane. Leur autre frère Mohamed, DEC de la commune rurale de Oued Djemaâ, est assassiné, alors qu'il se rendait au domicile familial à Jdioua. Un drame qui ne réussira pas pour autant à faire abdiquer les deux membres de la famille, qui poursuivent leur mission en tant que DEC et patriotes en même temps et ce jusqu'à la fin des années 1990. « Deux de mes neveux et mon frère ont été assassinés par les terroristes, dont certains sont en liberté depuis qu'ils ont bénéficié de la grâce », déclare, les larmes aux yeux, le père Mohamed. En 2001, lorsque la situation sécuritaire s'est améliorée, les deux patriotes décident de retourner en France. Les circonstances de l'implication Trois ans plus tard, en mars 2004, sur plainte de Hadj Smaïl, membre de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADHdirigée par Ali Yahia Abdennour, soutenue par Nacéra Dutour, responsable de l'association SOS Disparus, et Patrick Baudoin, alors président de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), les deux patriotes sont arrêtés, placés en garde à vue pendant 48 heures avant d'être mis sous contrôle judiciaire pour « actes de barbarie, enlèvement et assassinat ». Une inculpation retenue sur la base de déclarations de six plaignants, des familles de disparus originaires de Relizane qui n'ont apporté aucune preuve. L'affaire fait l'effet d'une bombe d'autant qu'elle intervient au moment où Hadj Smaïl publie son livre intitulé Relizane dans la tourmente, silence on tue, résumant la situation dans cette ville martyre à une guerre d'exaction et de terreur menée par les forces de sécurité et les patriotes contre la population, blanchissant du coup les groupes terroristes de leurs actes abominables. Hadj Saidan, frère d'un disparu, fait partie des six familles qui ont déposé plainte contre les patriotes. Assis à la tribune du forum d'El Moudjahid, cet enfant de martyr de la révolution, membre de l'Onec et ancien brigadier de police, raconte les circonstances de son implication dans cette affaire, qu'il dit regretter amèrement. « J'étais membre de la Ligue des droits de l'homme. En 2000, Hadj Smaïl nous a réunis à Relizane pour nous demander de participer à une marche nationale pour arracher nos droits. Nous avons marché à la place du 1er Mai, et à notre retour à Relizane nous avons décidé de tenir des sit-in devant la wilaya chaque mercredi pour dénoncer tout ce qui représente l'Etat. A la même période, une délégation de la FIDH est arrivée à Relizane et a été reçue par Belhadj Djelloul, le responsable local du RND. Baudoin et Nacéra Dutour m'ont demandé de venir en France témoigner parce que, selon eux, en Algérie je ne pouvais rien faire pour avoir les droits de mon frère. Ils m'ont pris en charge totalement et lorsque je suis arrivé, j'ai été présenté aux membres du Mouvement algérien des officiers libres (MAOL). J'ai rencontré le colonel Semraoui, Souaïdia, Nacéra Dutour, sa mère et son frère Nasrallah Yous, auteur du livre sur Bentalha (...) J'ai subi un vrai lavage de cerveau. Rares sont ceux qui y résistent. Ils m'ont dirigé vers le bureau du juge où Me Patrick Baudoin nous attendait pour déposer la plainte. Dix jours plus tard, Souaïdia me conseille de ne pas suivre la voie qu'il a empruntée, parce qu'il regrettait tout ce qu'il avait fait. Hadj Smaïl et les autres m'ont proposé 10 000 euros, une carte de résidence et une prise en charge totale en contrepartie de la signature de la plainte. Mais j'ai compris que tout était basé sur l'argent. J'ai réalisé après coup. Je suis rentré au pays et j'ai fait une déclaration notariée pour retirer ma plainte. En 2007, je lis dans le livre de Hadj Smaïl que je lui ai parlé des auteurs de l'enlèvement de mon frère, alors que je ne lui ai jamais fait état de ce fait, puisque j'étais en Espagne quand cela est arrivé. J'ai discuté avec d'autres familles de disparus pour déposer plainte contre les contre-vérités contenues dans le livre. » Hadj Saidan revient sur la visite en 2000 de Me Baudoin et de Nacéra Dutour et du Marocain « exilé » Driss Al Yazami, secrétaire général de la FIDH (nommé cette semaine par le roi Mohammed VI en tant que président de la communauté marocaine à l'étranger pour une durée de 5 ans). « Ils ont fait signer des documents à des familles illettrées, qui ne savent même pas ce qui allait être fait du contenu. Parce que j'ai refusé de continuer avec eux, ils ont pris mon frère et mon neveu auxquels ils ont tout payé, frais de voyage, hôtels et prise en charge, pour qu'ils apportent les témoignages qu'ils veulent », dit-il. Relizane dans la tourmente, un scénario remis en cause Pour lui, Belhadj Bensmen, de l'Onec de Relizane, un autre plaignant, a été victime de cette manipulation. « Ils lui ont donné d'importantes sommes d'argent et une carte de résidence pour qu'il signe un document à blanc. Il dit avoir été enlevé par les deux patriotes, alors qu'il touche une pension de victime du terrorisme », révèle Saidan avant d'exhiber une déclaration de Bensmen, publiée en février 2002 par la presse nationale, où il affirme avoir fait l'objet d'un enlèvement terroriste et qu'il n'a dû son salut que grâce à la garde communale de Oued Djemâa à laquelle il a rendu hommage. Hadj Fergane, chef des patriotes de Relizane et responsable de l'ONM pour la wilaya, revient sur le parcours de Hadj Smaïl, en affirmant que son action contre les patriotes n'est qu'une « vengeance » à l'égard de la famille révolutionnaire, parce qu'il a été déchu de sa qualité d'ancien moudjahid par la commission de wilaya dans le cadre de l'assainissement des rangs et condamné pour diffamation à deux mois de prison ferme par la cour de Relizane. « Dans son livre, il raconte comment il est monté voir son fils, un émir du GIA, auteur de l'attentat à la voiture piégée à Relizane, au maquis, mais il ne dit rien sur les massacres collectifs commis contre la population civile. Aucune condamnation du terrorisme et aucune compassion à l'égard des familles des victimes du terrorisme. » Le journaliste Mustapha Aït Mouhoub fait état quant à lui d'une enquête sur les révélations contenues dans le livre de Hadj Smaïl et qui se sont avérées montées de toute pièce par « le lobby du ‘'qui tue qui'' ». Des témoignages de terroristes repentis de l'AIS, du GIA et d'El Ahoual, des familles des disparus et des personnes citées par Hadj Smaïl sont les pièces à conviction d'un complot qui vise essentiellement à blanchir les terroristes de leurs crimes. Un débat qui suscite des réactions dans la salle, notamment des familles des victimes du terrorisme, des patriotes et des républicains en général. Finalement, les participants à ce forum ont décidé de créer un collectif de soutien et de solidarité avec les deux patriotes ainsi qu'un comité de juristes et d'avocats qui devra se déplacer en France pour les défendre.