La Cour constitutionnelle turque a jugé recevable hier une demande d'interdiction de l'AKP accusé d'activités anti-laïques. Visiblement, la machine judiciaire turque va être lancée contre l'AKP, le parti au pouvoir depuis 2002 à la suite de deux élections législatives successives, en fait jusqu'au sommet de l'Etat avec la présidence de la République. En d'autres termes, le parti de la Justice et du Développement du premier ministre Tayyip Erdoggan pourrait subir le sort des deux autres partis (Refah et Fazilet), de même obédience, dissous après avoir remporté le pouvoir depuis 1995. A cet égard, la justice turque à laquelle, jusque-là, a échappé ce parti a commencé hier ses travaux relatifs à une démarche d'un juge. En réponse, la Cour constitutionnelle turque a jugé recevable hier une demande d'interdiction de l'AKP accusé d'activités anti-laïques, a déclaré le vice-président de la Cour Osman Paksüt. M. Paksüt, qui s'exprimait devant de nombreux journalistes au terme d'une réunion des magistrats, a annoncé qu'ils avaient jugé recevable sur la forme le recours du procureur de la cour de cassation demandant l'interdiction de l'AKP, une formation issue de la mouvance islamiste. La décision a été prise à l'unanimité par les 11 juges. Une majorité des juges a décidé d'inclure dans le procès le chef de l'Etat Abdullah Gül, un ancien cadre de l'AKP, a déclaré M. Paksüt, sans donner d'autres détails. De manière plus sentencieuse, cette décision lance formellement le procès à l'encontre de ce parti. Le procureur Abdurrahman Yalçinkaya avait déposé le 14 mars son recours auprès de la Cour constitutionnelle. Le long réquisitoire de 162 pages demande que l'AKP soit dissous et que 71 de ses cadres, dont le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, soient interdits de politique pendant cinq ans. La Cour va se pencher maintenant sur le fond du dossier. L'AKP dispose d'un délai d'un mois, extensible, pour déposer sa première défense. M. Yalçinkaya accuse l'AKP d'être devenu un « foyer d'activités allant à l'encontre de la laïcité ». Son initiative a alimenté les tensions entre les défenseurs de la laïcité et les partisans du gouvernement, favorables à davantage de libertés religieuses. L'AKP, quant à lui, affirme avoir rompu avec l'islam politique et se définit comme un parti « démocrate conservateur ». Les milieux pro-laïcs, très influents au sein de l'armée, de la magistrature et de certaines administrations, l'accusent néanmoins de vouloir islamiser la Turquie, qui a une population à 99% musulmane, mais au régime strictement laïc. Samedi, rappelle-t-on, la Commission européenne avait appelé la justice turque à prendre en compte « l'intérêt à long terme » de la Turquie. La Commission européenne a également laissé planer la menace d'une nouvelle perturbation des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, qui n'avancent qu'au ralenti depuis leur ouverture officielle en octobre 2005. « J'espère que les juges de la Cour constitutionnelle prendront en compte l'intérêt à long terme de la Turquie », qui est celle « d'être une démocratie européenne d'importance, qui respecte tous les principes démocratiques », a déclaré le commissaire européen à l'élargissement Olli Rehn. Le cadre de ces négociations stipule qu'en cas de « violation grave des principes démocratiques » par la Turquie, « la Commission est obligée de regarder quelles ramifications cela pourrait avoir sur les négociations », a-t-il déclaré. « J'espère que la raison prévaudra, mais il ne faut pas sous-estimer les ramifications potentielles », a-t-il ajouté. Il a également fait valoir que cet « épisode a révélé une erreur du système dans le cadre constitutionnel turc », et a rappelé que l'UE appelait depuis longtemps à une réforme constitutionnelle en Turquie. « Comme je l'ai déjà dit, dans une démocratie normale, ce genre de problème se règle dans les urnes et pas devant les tribunaux », a-t-il encore ajouté. Une bataille juridique est donc engagée, mais elle n'échappe en aucun cas à la sphère politique. Quelques jours à peine avant les élections de 2002 qu'il allait remporter, un juge de cette même juridiction avait engagé une procédure de même nature, mais à l'époque tout semblait rentrer dans l'ordre. Ce n'était donc que partie remise.