La décision de la Cour constitutionnelle turque met en difficulté l'AKP, le Parti de la justice et du développement, au pouvoir à Ankara. Sans surprise, la Cour constitutionnelle, garante de la laïcité version Attatùrc, s'est prononcée, jeudi, contre la levée de l'interdiction du voile dans les universités, jugeant que les amendements votés par le Parlement afin d'autoriser le port du foulard par les étudiantes étaient inconstitutionnels. Très attendue, cette décision, qui intervient dans un climat de guerre ouverte entre les islamistes conservateurs au pouvoir et l'establishment laïc (la société civile et l'armée), constitue un sérieux revers pour le gouvernement. D'autant que le sort de leur formation politique (l'AKP), qui est menacé de dissolution, pourrait y être lié. Les onze juges ont donc invalidé les modifications constitutionnelles adoptées par les députés de l'AKP et ceux de l'extrême droite du MHP (Parti pour une action nationaliste) au motif qu'ils violaient des articles non amendables de la loi fondamentale, notamment celui stipulant que “la République turque est un Etat laïque”. Après le vote de la loi en février, l'opposition nationaliste (CHP, Parti républicain du peuple) avait déposé un recours devant la Cour constitutionnelle afin de l'annuler. La majorité des juges ont été nommés par l'ancien président de la République, Ahmet Necdet Cezer, un ultralaïc proche des militaires. Le président de la République a beau être de l'AKP, il n'a pu rien faire. Le gouvernement islamiste avait mis en avant le respect des libertés individuelles et religieuses pour autoriser le foulard sur les campus. Au-delà du camouflet infligé au Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qui avait fait de cette réforme une priorité, ce veto est interprété comme un funeste présage contre son parti : la Cour constitutionnelle examine également une demande de fermeture de l'AKP et d'interdiction pour 71 de ses cadres, dont le Premier ministre, d'exercer une activité politique pendant cinq ans. Accusant l'AKP d'être “un foyer d'activités anti-laïques”, le procureur de la Cour de cassation a bâti en grande partie son réquisitoire sur cette loi sur le foulard. La décision des juges ne signe pas nécessairement l'arrêt de mort de l'AKP et le bannissement de ses chefs, mais elle donne cependant un indicateur sur l'état de mobilisation du pouvoir judiciaire et de l'armé en sous mains, dans la lutte qui les oppose depuis le début de l'année au gouvernement islamiste. D. Bouatta