Le gouvernement, qui reste sous surveillance, est toutefois appelé au compromis. Le rejet de la demande d'interdiction du parti au pouvoir, issu de la mouvance islamiste, a fait retomber la tension, jeudi, en Turquie en évitant une crise majeure, mais le gouvernement reste sous surveillance et est appelé à faire des compromis. Le Parti de la justice et du développement (AKP), accusé d'être un «foyer d'activités anti-laïques», a échappé de justesse mercredi à une interdiction. Six juges sur onze de la Cour constitutionnelle se sont prononcés pour une dissolution, alors qu'il fallait au minimum sept voix pour interdire cette formation qui gouverne la Turquie depuis 2002 et qui a triomphé aux législatives l'an dernier. Le parti a néanmoins reçu une claire mise en garde, car les juges ont reconnu que les accusations lancées à l'encontre du parti et de son chef, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, étaient bien fondées, en le privant d'une partie de son financement public pour cette année. Chose rare, le président de la Cour, Hasim Kiliç, a exhorté l'AKP avant d'annoncer la décision très attendue depuis quatre mois à «bien analyser» l'arrêt des juges. En n'interdisant pas l'AKP, les juges contribuent ainsi à une détente à l'intérieur du pays qui a été ébranlé par un attentat non-revendiqué dimanche à Istanbul qui a fait 17 morts. M.Erdogan a tenu après l'arrêt des juges à réaffirmer l'attachement de sa formation aux «valeurs de la République», dont la laïcité, pilier de la constitution turque. Il a aussi souligné la nécessité de «renforcer la paix sociale en Turquie», ajoutant que l'AKP agirait de façon à «rassembler tous les Turcs», quelle que soit leur appartenance politique. Ses propos ont été salués par la presse libérale qui l'ont appelé «à tirer les leçons de la décision» des magistrats et de lâcher du lest. «C'est une très bonne décision, elle adresse un avertissement qui empêchera Erdogan de se transformer en tyran», estimait Ahmet Hakan dans le journal à gros tirage Hürriyet. M.Erdogan en particulier a été tenu pour responsable d'avoir abusé de sa victoire électorale de 2007, notamment en insistant en vain à légaliser le port du voile islamique dans les universités, l'un des arguments avancés par la justice pour fermer l'AKP. Nombre de représentants du camp laïc restaient toutefois inquiets, estimant que la crise n'est pas terminée entre les partisans du gouvernement et les masses fidèles au dogme laïciste du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. «Comment est-ce qu'un parti reconnu coupable d'activités anti-laïques va pouvoir continuer à gouverner?», s'interrogeait Can Dündar du journal libéral Milliyet. La plupart des quotidiens, y compris le pro-gouvernemental Zaman, invitaient les cadres de l'AKP à une «auto-critique». «La crise en Turquie n'est pas issue des visées prétendues islamistes de l'AKP. Le problème est un problème de parti unique», estimait la politologue Nuray Mert, en exhortant l'AKP à «partager le pouvoir politique». L'arrêt de la Cour a en tout cas soulagé les marchés en Turquie, la bourse d'Istanbul ouvrant jeudi matin sur une hausse de 4,51%. Les milieux économiques craignaient qu'une éventuelle fermeture de l'AKP, qui semblait pourtant acquise il y a quelques semaines, n'entraîne la Turquie dans une période de forte instabilité économique et politique avec de possibles élections anticipées. L'Union européenne s'est également dite soulagée, tout en maintenant la pression sur Ankara pour une relance des réformes qui devraient permettre à la Turquie musulmane mais strictement laïque d'adhérer, à terme, à l'Union.