Un des principaux artisans des réformes en Pologne, le professeur Grzegorz W. Kolodko, est un économiste de renommée mondiale et un spécialiste de la transition et de la politique de développement. Vice-Premier ministre et ministre des Finances de 1994 à 1997 puis de 2002 à 2003, il est l'auteur de 38 livres publiés dans 24 langues. En visite en Algérie sur invitation de la CCFC, dans cet entretien, il a bien voulu disséquer pour nos lecteurs les clés de réussite de la transition économique et politique dans la République de Pologne. Votre êtes l'un des artisans des réformes économiques en Pologne. Quel est le secret de ce qui est considéré comme modèle de réussite en termes de transition d'un système dirigiste et centralisé vers l'économie de marché ? Le succès consiste d'abord en une approche complexe. Nous avons réussi ensemble à transformer en profondeur notre économie. Nous avons réussi à créer des institutions qui aidaient les entrepreneurs. Nous avons pu mettre en place de nouvelles règles économiques. Nous avons intégré l'économie polonaise dans l'économie mondiale. Il faut dire que le facteur qui a le plus aidé à tout cela a été l'intégration de la Pologne à l'Union européenne. Mais d'une manière générale, le plus important, c'est la réforme de l'Etat vers le marché. Durant ces vingt dernières années, nous avons eu quand même des périodes difficiles. Durant la décennie 1990, les résultats étaient moyens. Les réformes que nous avions engagées ont englobé toutes les sphères de la vie économique. Et spécialement les privatisations. Mais aussi l'ouverture aux capitaux étrangers et la libéralisation du commerce. Mais le plus difficile était les réformes sociales que nous n'avons pas encore réussi à terminer. Quelles ont été les résistances au changement ? Il y a eu des difficultés et elles sont toujours présentes et sont liées principalement à l'incompréhension de certains acteurs de notre vision et des objectifs de notre stratégie. Une bonne partie de la bureaucratie s'est réfugiée dans une attitude conservatrice. Des syndicats des travailleurs se sont opposés à certaines réformes également. Différents groupes sociaux avaient, à des moments donnés, eu peur des réformes. Beaucoup d'entreprises ont eu des problèmes de solvabilité avant leur restructuration. Beaucoup d'entres elles ont déposé le bilan ou ont été liquidées. Le chômage qu'on ne connaissait pas à l'époque socialiste avait atteint 20% au début de la transformation du modèle économique. Actuellement, il a diminué, mais il tourne quand même autour de 11%. Maintenant, la majeure partie de la société a compris le pourquoi des réformes et les supporte. Il y a eu donc un consensus de la classe politique et des opérateurs économiques autour des réformes ? Nous avons toujours recherché le consensus. Lors de mon passage au gouvernement, j'avais accordé beaucoup d'importance au dialogue social et recherché un consensus le plus large. Parfois, c'est une chance d'avoir ce consensus, mais à défaut, il fallait passer ces réformes de force. Nous avons eu affaire à des oppositions politiques, à des grèves légales et illégales, des démonstrations de rue légales et illégales également. Nous avons eu à subir les groupes de pression et des lobbies. Mais le trait de ces changements était notre grande détermination à aller au bout des réformes. Aussi, la Pologne était mieux préparée à cette transformation du point de vue culturel, politique et intellectuel que d'autres pays. Sans oublier l'aide internationale qui a été pour beaucoup dans notre succès. La Pologne a été le seul pays de la région à avoir bénéficié de l'effacement de la moitié de sa dette extérieure comme prime pour avoir fait tomber l'ancien système. En septembre 1994, j'avais signé moi-même avec le Club de Londres le plus grand contrat de l'histoire de la Pologne, en effaçant 6,3 milliards de dollars de dette extérieure, moyennant la poursuite des réformes structurelles. Est-ce que toutes les entreprises ont été éligibles à la privatisation ou bien l'Etat avait-il gardé sous sa tutelle les secteurs stratégiques ? Les privatisations ont été toujours un processus controversé. Certains secteurs stratégiques ont été restructurés et ont retardé leur privatisation, comme celui de la défense, de l'énergie, les infrastructures, les télécommunications, les banques et les assurances. Mais sous la pression des entrepreneurs nationaux et du capital étranger, l'UE et l'OMC, la libéralisation a été engagée petit à petit. Une majeure partie du secteur bancaire a été privatisée, avec une grande participation des capitaux étrangers. Actuellement, 70% des banques polonaises sont aux mains des capitaux étrangers. Je suis parmi ceux qui considèrent que c'est un peu trop. Les télécommunications ont été démonopolisées et dans une grande partie privatisées. Les privatisations sont par contre moins avancées dans le secteur de l'énergie. L'enjeu des privatisations étant l'apport de technologie et de savoir-faire, et de créer une concurrence pour une meilleure compétitivité, mais l'Etat doit garder certains secteurs comme les transports, l'énergie, les médicaments, les assurances, les télécommunications, la santé, l'éducation pour qu'il n'y ait pas des excès du marché. Parce que contrairement à ce que prêchent les néolibéraux, à savoir que le marché est le meilleur gage pour le développement social, je dirai qu'un marché mal régulé n'est même pas bon pour les entreprises privées pour cause de concurrence déloyale. Lorsque les néolibéraux étaient au pouvoir en Pologne, le rôle de l'Etat était des plus réduits et l'économie en a beaucoup souffert. Quel regard portez-vous sur les réformes économiques en Algérie ? L'Algérie doit libéraliser encore davantage son économie, s'ouvrir un peu plus à la concurrence internationale et créer les conditions pour attirer les IDE, sources de progrès techniques, et améliorer la qualité du management. Mais cela, c'est à long terme. Et comme la base de l'économie en Algérie dépend essentiellement des hydrocarbures, le gouvernement, tenant compte des grandes réserves en devises dont dispose le pays, devra créer une banque de développement qui financera par exemple les investissements dans le secteur de la transformation de l'agroalimentaire. Mais l'Algérie n'aura pas un avenir radieux sans une diversification de son économie. Il faut aussi travailler pour une intégration régionale, car dans 50 ans, le Maghreb fera partie de l'Union européenne. L'Algérie a de grandes chances qu'elle ne doit pas gâcher. Il faut un marché fort et un Etat performant. L'Algérie a besoin d'une stratégie propre à elle qui devra reposer sur quatre piliers : d'abord un développement à grande vitesse et un partage équitable des richesses pour que la société accepte le changement. Le cœfficient de Gini (ndlr : degré d'inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée) est de 0,35% et ne doit pas monter encore plus. Ensuite, il faut une bonne intégration dans l'économie mondiale et un Etat qui atteint ses objectifs.