L'album Hemlegh Kem (je t'aime) s'inscrit dans le prolongement de ces plaquettes étrennées en 1998, par l'inoubliable Ithvirène (les pigeons), une chanson qui annonçait fermement un style et qui révèle immédiatement Oulahlou comme un artiste qui a des choses à dire. L'originalité des compositions est un non-conformisme inné, et cette sorte de vocation naturelle à casser les tabous, (y compris celui tenace et usiné au nom de la fidélité aux traditions) font qu'Oulahlou est un chanteur à part dans la constellation composite de la chanson kabyle. Un profil d'iconoclaste inspirant très vite des comparaisons, parfois trop faciles, comme Renaud au départ puis aujourd'hui Brassens. Aussi, la tentation est forte de le prendre au mot, lorsqu'il chante, dans le dernier album justement : « Les belles chansons d'amour, de Brel, Ferré, Aznavour, sont toutes jolies mais il y a trop de mélancolie, moi je chante et je reste gai, un peu rock un peu reggae… » L'amour de la liberté, la liberté de l'amour… Tout conflue dans le répertoire de l'artiste à célébrer ces deux élans, deux thèmes « mammouths » que l'habile baladin attaque avec un volontarisme feint du saltimbanque, en tous les cas sans ce romantisme rimailleur ni les complaintes mielleuses auxquelles obligent souvent ces deux valeurs sûres du lyrisme à tout va. Oulahlou, lui, prend l'inspiration par des chemins inusités, pour le moins inattendus. Ainsi, la rupture amoureuse, moment universel d'élancements douloureux, peut se « fêter » chez lui par la mélodie jubilatoire, puisqu'on perd l'objet d'un amour pour retrouver le territoire palpitant de la liberté, territoire qui, ici, épouse les reliefs des montagne kabyles. « Wallah la vérité, en toute sincérité, merci de me quitter, vive ma liberté ! » L'amour du pays kabyle, une constante thématique encore célébrée dans Hemlegh Kem (je t'aime). Le chanteur a beau faire le tour du monde, s'émouvoir devant les charmes mythiques d'autres contrées, il n'est dans son élément qu'avec celle qui se confond avec le pays. Ighuraf ou le pressoir à huile, célèbre aussi ces instantanés de la vie kabyle dans ce qu'elle peut avoir de plus généreux et de plus symbolique : la fameuse cueillette des olives avec ses moments de partage, ses rituels, le tout relevé par une touche de nostalgie qui traverse beaucoup des chansons de cet enfant espiègle, qui se refuse à grandir. Nostalgie franchement dans Tmekthayaghd (je me souviens), un petit moment de tendre immersion dans l'univers de l'enfance qui doit sans doute « parler » à tous ceux qui habitent la même région que le chanteur. Enfin dans Tidets (la vérité) et surtout Essek-akin (oust !), Oulahlou reprend son verbe le plus offensif pour signifier, encore une fois, qu'il reste une sorte de manifestant de la chanson, prêt à hurler sa colère. Essek-Akin serait plutôt un cri d'exaspération balancé à la face des prosélytes intégristes et leurs menées contre les espaces de libertés individuelles mais aussi leurs velléités nouvelles de s'attaquer aux legs culturels des ancêtres. Dans Tidest, se reconduit le défi de toujours, pour tout artiste engagé, celui de s'exprimer librement, surtout quand l'époque et le territoire sont plutôt aux recroquevillements frileux : « Vous pouvez me couper la langue, les mains, les pieds mais vous ne pouvez pas et jamais vous ne pourrez m'enlever la vérité de la bouche », lance-t-il aux censeurs. Le dernier album d'Oulahlou confirme ses choix pour des compositions musicales conçues pour des moments de partage avec le public. Des mélodies pleines d'entrain qui ne cèdent rien à la gravité des mots, ni à celle de la vie d'ailleurs !