La polémique entre Djamel Aïdouni, président du syndicat des magistrats, et Abdelmadjid Sellini, bâtonnier d'Alger, intervient au moment où la situation des droits de l'homme en Algérie se débat à Genève. Les défaillances relevées dans le rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme prouvent que la justice algérienne est loin d'être garantie et indépendante. La polémique entre le bâtonnier d'Alger, Abdelmadjid Sellini, et le secrétaire général du Syndicat national des magistrats (SNM), Djamel Aïdouni, dessert beaucoup plus la justice qu'elle ne la sert, à partir du moment où les vrais problèmes de celle-ci se discutent malheureusement en dehors des frontières de l'Algérie. En effet, lors des travaux de la session du tout nouveau Conseil des droits de l'homme (ayant remplacé la commission des droits de l'homme à Genève), qui se sont ouverts hier (pour se poursuivre jusqu'au 17 avril), toutes les questions liées au droit à une justice, à l'indépendance de cette même justice et à la protection des défenseurs des droits de l'homme seront débattues. Le rapport préparé par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) est à ce titre éloquent et situe quelques défaillances du système judiciaire. Tout en félicitant l'Algérie d'être le seul pays arabe à avoir voté la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies pour l'établissement d'un moratoire sur la peine de mort, l'organisation a néanmoins attiré l'attention du conseil sur plusieurs points d'inquiétude qui, selon elle, « méritent d'être examinés pour mener l'Algérie sur le chemin de l'Etat de droit ». Ainsi, la FIDH a regretté que la loi organique portant statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n'a pu être examinée par le Conseil d'Etat avant son adoption comme le prévoit la Constitution. « L'article 49 de la loi organique n°04-11 du 6 septembre 2004 dispose que les plus hautes fonctions judiciaires spécifiques sont pourvues par décret présidentiel. La FIDH s'inquiète du fait que le président de la République n'ait aucune obligation de consulter le Conseil supérieur de la magistrature. Cette lacune est de nature à jeter un doute sur l'indépendance des magistrats ainsi nommés. L'article 59 de la loi organique portant statut de la magistrature dispose que ‘‘tout magistrat promu à une fonction est tenu de l'accepter''. Cet article peut être utilisé afin d'obliger un juge à se dessaisir d'une affaire contre son gré pour ne pas contrevenir à son obligation d'accepter toute fonction à laquelle il est ‘‘promu'' », lit-on dans le rapport de la FIDH. Les défaillances qui suscitent des réserves Pour elle, l'application de cette disposition comporte « des risques d'atteinte à l'indépendance de la magistrature et au principe n°14 des principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l'indépendance de la magistrature qui prévoit que ‘‘la distribution des affaires aux juges dans la juridiction est une question interne qui relève de l'administration judiciaire'' ». L'organisation a relevé, par ailleurs, que la législation et la pratique en Algérie sont « loin d'être en conformité avec les dispositions du pacte et le principe d'égalité des armes ». A titre d'exemple, elle a cité l'article 288 du code de procédure pénale qui autorise le procureur lors d'un procès de s'adresser directement aux témoins ou à l'accusé, mais réfute ce droit à la défense, pose ses questions à travers le juge. « Le juge peut refuser de poser une question qui lui a été soumise oralement par la défense, ce qui est contraire au principe de l'égalité des armes et porte atteinte à l'impartialité du juge. » La FIDH a exprimé son inquiétude face à la compétence des tribunaux militaires pour se saisir « de certaines infractions commises par des civils en temps de paix en matière d'atteinte à la sûreté de l'Etat ». Elle a expliqué que l'article 68 du code de justice militaire dispose que « le droit de mettre en mouvement l'action publique appartient, dans tous les cas, au ministère de la Défense nationale. Ce droit peut être exercé également sous l'autorité du ministre de la Défense devant les tribunaux militaires permanents par le procureur militaire de la République ». Dans de telles conditions, a-t-elle ajouté, l'action publique dépend exclusivement de l'exécutif, « ce qui est contraire à l'indépendance et l'impartialité de la justice. Ceci témoigne de la dépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif et des atteintes portées au droit à un procès équitable ». Sur un autre chapitre, la FIDH s'est étonné que la seule commission nationale chargée de la promotion et de la protection des droits de l'homme, la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (CNCPPDH), n'ait jamais publié de rapport annuel d'activités alors que l'article 2 du décret présidentiel (01-71 du 25 mars 2001) instituant sa création lui en fait obligation après deux mois de sa remise au président de la République. La FIDH a également souhaité la révision du code de procédure pénale pour mieux garantir le droit au recours devant une juridiction d'appel, notamment l'article 313 de ce code qui ne prévoit qu'un délai de 8 jours pour se pourvoir en cassation. Ce sont là quelques défaillances relevées dans les textes et qui suscitent des réserves quant à l'indépendance de la justice. Celle-ci est loin d'être garantie eu égard aux pressions, ô combien nombreuses, que subissent les magistrats, et ce n'est certainement pas Aïdouni qui nous contredira. Les exemples de juges ayant payé de leur carrière pour se reconvertir dans le corps des avocats parce qu'ils ont osé refuser un ordre ou fait uniquement leur travail sont très nombreux. Cela étant, l'indépendance de la justice ne concerne pas uniquement les magistrats, mais également les corporations des avocats et des auxiliaires de justice, comme les greffiers et les notaires, qui ont du mal à lutter contre la situation de banalisation quotidienne de la corruption et des violations des droits les plus élémentaires.