Voilà bientôt dix ans que Saïd, ce voleur qui... nous quittait en laissant plus de mille billets. Des chroniques : « El Ghoul », « A belles dents », « Mesmar J'ha », en passant par des interviews imaginaires, des écrits dans El Manchar, Baroud ou encore Rupture. De ses écrits, il dira : « Je ne comprends pas grand-chose à ce qui se passe... J'essaie de faire en sorte de ne pas être avec et pour ceux dont la vocation est de former puis dresser des troupeaux... dans le respect bien compris de cette liberté individuelle. » Ses billets abordaient tout ce qui touchait le pays, avec quelques rares allusions à son propre vécu, quand il écrit par exemple : « On a connu un DG qui, le jour où il devait quitter son fauteuil, régla ses comptes... en signant des décisions dont l'exécution était laissée à son successeur. Pour l'anecdote, cela se passa juste avant octobre 1988... » Mais c'est « Double Casquette », parue à la une du premier numéro d'Alger Républicain 1989, qui signe son retour à la presse, il demande alors à Chadli de choisir entre la présidence du FLN et celle de la République : « D'aucuns souhaitent que le président de la République abandonne la présidence du FLN. » Il reprend en 1991 : « De la stature de notre Président, ne retiendrons-nous donc que le côté Chadli mini ? » Pour le Premier ministre Hamrouche, il aura cette petite remarque : « Il apparaît avec un chapelet de prière à la main... qui pourrait bien annoncer... le ralliement... la complicité. » Puis il se demandera quelle différence il y a entre « Hachani disant : quand nous serons au pouvoir, les journalistes nous rendront des comptes..., et cette personnalité du pouvoir : dorénavant, les journalistes devront arracher la liberté de la presse ». Au cheikh du FIS, conseillant de se préparer à changer les habitudes vestimentaires et alimentaires, il répondra : « ... Je vous incite en toute fraternité à aller... vous rhabiller. » A l'arrivée de Boudiaf, « le brasseur d'argile » pour certains, il note l'absence de ses compagnons de guerre, Aït Ahmed, Ben Bella, Bitat, en précisant : « Ce morceau de datte qui est recraché... signe qu'une certaine Algérie lui est restée en travers de la gorge. » De Bouteflika, il aura cette prémonition : « .... Avoir gardé le silence pendant quatorze années pour un homme politique de l'envergure de Bouteflika, c'est plus qu'une erreur, c'est une faute grave que nous risquons peut-être d'endosser, car après quatorze années d'abstinence verbale, s'il est désigné comme Président, il aura tellement de choses à raconter qu'il en oublierait peut-être notre envie de parler. » Concernant le passé de la presse, il écrira : « Nous avions montré beaucoup de générosité dans l'attaque contre certains hommes qui sont aujourd'hui devenus notre honneur... Pour que nous ne recommencions pas les mêmes erreurs. » Puis à certains qui proposent la création d'un comité d'éthique, il répondra : « Chacun de nous est libre de se baigner dans ce qu'il veut... mais je crains les moutons de notre profession... Ceux qui retournent la veste, ceux qui s'agenouillent et se prosternent, offrant aux nouveaux maîtres ce petit trou de balle qui leur sert de nombril et qui a déjà évacué ce qui leur restait de dignité. » Parlant de la torture, il propose de donner des cendriers aux agents de police, en leur expliquant qu'« ils sont à offrir à quelques-uns de leurs collègues, fumistes de profession, qui, dans certains commissariats, demandent aux détenus d'ouvrir la bouche pour l'offrir en guise de cendrier ». A qui profite le crime ? « ...Tant ils sont faits pour arranger toutes les extrémités politiques qui veulent conquérir ou se maintenir au Pouvoir. N'y a-t-il vraiment rien d'autre à dérouler sur le chemin qui mène au fauteuil que ce macabre tapis fait de ces corps d'intellectuels... ? » De la destruction du pays, il prendra l'exemple de la cimenterie de Meftah « qui a été l'objet d'un sabotage terroriste... minimum trois mois d'arrêt, s'il appauvrit un pays de plus en plus touché, s'il touche un citoyen de plus en plus appauvri, il doit bien se trouver quelque part des salopards que cela doit enrichir ». Puis, il décrira l'enterrement de Hirèche : « ... Son frère répétant sans cesse : “Khad'ouna“ - ils nous ont trahis. » « Sur le chemin du retour, on voit un bourgeois, qui, les mains dans les poches, constate d'un air satisfait l'état d'avancement des travaux de sa villa » et ajoutera en montrant du doigt ceux d'en haut : « Vous trouvez normal... qu'un simple citoyen n'ose même pas faire la chaîne pour acheter son pain, alors qu'un Nahnah, Mehri ou qu'un Ben Bella ou autres énergumènes politiques peut se permettre une flânerie tranquille en ville ? » Il se posera d'ailleurs la question de savoir qui va le tuer : « J'ai parfois grande envie de rencontrer les assassins et surtout les commanditaires » car, plus encore, « je voudrais bien savoir qui va ordonner ma mort ». A un avertissement du Haut Comité d'Etat (HCE), il répondra : « Mais il y en a d'autres aussi, des moins haut placés, qui risquent leur vie... gendarme, soldat, policier et, aujourd'hui, simple citoyen... Il faut aussi qu'on se souvienne que dans notre métier, on court aussi des risques pour sa vie. » De la jeunesse, il se demande « quelle espèce de mutants sont-ils en train de faire naître les trafiquants d'armes et de drogue, les escrocs de la finance, les escrocs de la religion... » Des femmes, il dira : « Combien d'hommes incompétents ont occupé un poste que des femmes compétentes n'ont pas occupé ? » Il raconte l'histoire de cet homme qui vient de recevoir une lettre anonyme lui ordonnant de fermer sa clinique : « Je ne dors plus car je ne sais quoi faire... » Il conseille : « Confiez donc la direction de votre clinique à une femme et partez tranquille. » Pour lui, l'intolérance, c'est cette lettre de ce « combattant anonyme » qui promet une Algérie islamique en condamnant à mort cet autre lecteur, « qui avait eu la lâcheté d'indiquer son nom, d'affirmer qu'il était algérien chrétien, assumant son identité, vivant sa foi, ses convictions et ses idées... » Il en parlera encore, lors de l'assassinat des deux religieuses espagnoles : « Comment peut-on tirer sur deux femmes ? Sur deux religieuses, deux créatures de Dieu... qui voulaient faire pencher la balance du côté de la paix et de miséricorde ? Vers quel monde de ténèbres allons-nous, nous qui ne rêvons que de lumière ? » L'avenir du pays ? Il constate : « Chaque jour qui passe vaut une année de perdue... au moins dix ans de retard sur les terrains... On a reculé, tellement reculé, que dans cet élan, on va sauter la transition et aller à la révolution... » Pour conclure, il laissera cette note : « C'est aux lecteurs, à eux en particulier, que je livre ces écrits du jour le jour, modestes traces laissées par un citoyen... car la vérité est comme la justice : elle a besoin de témoins... Même les tout petits témoins qui peuvent écrire des choses qui restent et qui durent. »