Cette fois, plus rien ne semble arrêter l'imam chiite Moqtada Sadr et son armée. Il vient de décréter la guerre au sens pluriel, puisqu'il a décidé de s'en prendre à l'occupant américain qu'il a toujours considéré comme tel, et le pouvoir en place dominé par les chiites comme lui, mais insensible à ses doléances. Et hier, telle une clameur dans le ciel de Baghdad, les mosquées de Sadr City, le bastion de Moqtada Sadr, ont exhorté à chasser les Américains après un appel, samedi, du jeune chef radical à la révolte si les attaques contre son mouvement se poursuivaient. De nouvelles violences dans ce quartier dans le nord-est de Baghdad ont fait au moins quinze tués depuis samedi soir, selon des sources médicales et le commandement américain. Selon des habitants du vaste secteur déshérité, les haut-parleurs des mosquées, utilisés pour l'appel à la prière, ont lancé dans la nuit : « Combattez l'occupant, chassez-le de vos maisons. » Ils ont diffusé le communiqué publié samedi soir par Moqtada Sadr, menaçant d'une « guerre ouverte », si les troupes irakiennes et américaines ne cessaient pas leurs attaques contre son mouvement. Les messages ont également accusé les Etats-Unis de semer la zizanie parmi les chiites, et ont exhorté les troupes irakiennes, sous les ordres du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, « à ne pas combattre leurs frères ». Depuis des jours, des affrontements intermittents opposent les troupes irakiennes et américaines aux miliciens chiites dans Sadr City, qui abrite plus de deux millions d'habitants. L'Irak s'enfonce dans ses guerres, faussant davantage les calculs de l'état-major américain faits à la veille de l'invasion de l'Irak. Et du même coup, une telle situation ouvre une nouvelle phase périlleuse en Irak, au moment où Washinghton veut y réduire son contingent, puisque Moqtada Sadr a décidé de mettre fin au cessez-le-feu unilatéral qu'il a annoncé en août 2007 et qui a garanti depuis un certain degré de stabilité en Irak. La fin de la trêve risquerait de relancer les actions contre l'armée irakienne et le contingent américain par la milice la plus puissante d'Irak, alors même que Washington a annoncé une réduction, d'ici à juillet, de ses troupes. Le président George W. Bush a donné l'ordre à quelque 20 000 soldats américains de quitter l'Irak dans les semaines qui viennent, réduisant le contingent à 140 000. En 2004, des combats ont eu lieu entre des troupes américaines et des miliciens sadristes dans des villes d'Irak, dont Kerbala et Najaf. Mais malgré sa défaite, le jeune chef, héritier d'une famille de religieux respectés, avait gagné l'image de héraut d'un nationalisme irakien. Par la suite, le mouvement sadriste a participé à l'émergence d'un système politique constitutionnel. Après les élections de 2005, son bloc parlementaire est devenu le plus puissant et a fait partie de la majorité gouvernementale. Lorsque Nouri Al Maliki a formé son cabinet en 2006, les sadristes ont même obtenu six portefeuilles. « Sans notre soutien, ce gouvernement n'aurait jamais été formé », a rappelé Moqtada Sadr. Mais depuis, des différends fondamentaux ont fait surface et se sont récemment exacerbés. Fin mars, le Premier ministre irakien a finalement lancé ses troupes contre ce qu'il a appelé des « éléments criminels » à Bassorah, mais l'armée du Mahdi s'est sentie visée. Des affrontements dans tout le pays ont fait des centaines de victimes, jusqu'à ce que Moqtada Sadr donne l'ordre à ses partisans de rentrer chez eux. Ces violences sont intervenues alors que se préparent en Irak des élections régionales en octobre, qui doivent donner aux formations politiques en lice la direction des 18 provinces du pays. Pour les partis chiites, un terrain de confrontation majeur sont les neuf provinces au sud de Baghdad. Véritable poumon économique de l'Irak, avec la région pétrolifère de Bassorah et les ports commerciaux du Golfe, cette zone est aussi le point d'ancrage du chiisme, avec les villes saintes de Kerbala et de Najaf. Deux idéologies s'y affrontent, celle du populisme socialiste du mouvement sadriste, et celle d'un traditionnalisme libéral, défendu par le Conseil suprême islamique d'Irak d'Abdel Aziz Hakim, allié privilégié de M. Maliki, devenu lui aussi la cible de Moqtada Sadr.« A cause de son alliance avec les forces d'occupation, le gouvernement n'est ni indépendant ni souverain, comme nous aimerions qu'il soit », a décrété le jeune imam. Une sentence qu'il faut exécuter, mais à quel prix ?