Certains chiffres avancés par les experts illustrent on ne peut mieux l'état de déliquescence atteint par un secteur stratégique laissé en jachère. Face à la montée des prix des produits alimentaires et la crise mondiale qui s'en est suivie, charriant dans son sillage un lot de drames humains et mettant des pans entiers de la population mondiale dans la précarité, le développement du secteur agricole en Algérie est depuis sous les feux des projecteurs. Des experts nationaux et étrangers se sont penchés hier à Alger sur la question, et ce, l'espace d'un colloque international ayant pour thème « La sécurité alimentaire et mondialisation : quelle stratégie pour le développement agricole en Algérie ? » Si le constat sur l'inanité des politiques suivies depuis des lustres dans le secteur agricole est partagé par tous, certains chiffres avancés par les experts illustrent on ne peut mieux l'état de déliquescence atteint par un secteur stratégique laissé en jachère. On a appris ainsi que de 1958 à 2001, la surface agricole utile (SAU) est restée identique. En 1958, la superficie moyenne par exploitation était de 13 ha ; en 1973 elle chutait à 11,5 ha pour se situer autour de 8 ha actuellement. 60% des terres propriétés des fellahs ne possèdent pas de titre de propriété, tandis que le statut des terres de l'Etat confiées aux EAC et EAI reste entier 20 ans après la promulgation de la loi 87/19. Autre handicap relevé : 5% seulement des agriculteurs ont moins de 30 ans, 37% ont plus de 61 ans et, plus grave encore, 67% des agriculteurs n'ont aucun niveau d'instruction. Pour l'ex-ministre de l'Agriculture (1991-1993), Mohamed Elyas Mesli, trois conditions sont à même de faire sortir l'agriculture de la crise qui l'habite depuis des lustres. Il s'agit de la mise en place d'une politique agricole « globale, complémentaire et à long terme », car, dit-il, « qui ne se préoccupe pas de l'avenir se condamne aux soucis immédiats ». Plaidant une implication plus prononcée de l'Etat, l'ex-ministre a estimé qu'il ne suffit pas de déverser des capitaux pourtant si nécessaires dans le secteur, mais à « stopper la dilapidation honteuse des terres » et à « organiser profondément le secteur, notamment par l'octroi d'un statut définitif des terres publiques, régler les titres de propriété, la refonte des structures agraires ainsi que la formation et le rajeunissement de la population agricole ». M. Mesli a estimé, en outre, que la population urbaine devra jeter un regard « positif » sur la société rurale, car « l'essentiel de la pauvreté se trouve en milieu rural » Brossant un tableau des plus sombres des politiques suivies jusque-là, l'ex-ministre dira à propos de l'accord d'association avec l'Union européenne : « Les importateurs trouvent leur compte, les agriculteurs sont sans réaction et les consommateurs déçus, car les prix ont plutôt augmenté alors que l'on s'attendait à une baisse. » A propos des négociations en cours pour l'adhésion à l'OMC, M. Mesli a indiqué qu'il faut trouver une voie dont le principe premier est de reconnaître à chaque pays le droit à l'autosuffisance alimentaire pour les produits de base tels les céréales, les légumes secs, la pomme de terre et quelques produits maraîchers, l'huile et en particulier l'huile d'olive et subsidiairement le sucre et le lait dans des proportions limitées vu les difficultés à satisfaire en totalité les besoins de la population par la production locale. Et de rejeter les politiques agricoles qui s'accommodent du statu quo sous réserve de légers amendements, ou celles qui appellent le triomphe de la stratégie hyperlibérale — conforme aux vœux des Etats-Unis, du groupe de Cairns et des institutions internationales — et qui entend aligner les prix intérieurs sur les prix mondiaux. Une stratégie, dit-il, fermement soutenue par les firmes du complexe agroalimentaire mondial qui se prononcent pour une élimination rapide et totale des protections.