Après avoir exploré son apport à la recherche sociologique empirique à travers sa direction de l'Aardes (institut de recherches démographiques, économiques et sociales) durant la première journée de l'hommage qui lui a été consacré, l'autre parcours de M'hamed Boukhobza à la présidence de la République puis à l'INESG a été évoqué hier à l'ISGP, lieu de rendez-vous choisi pour le colloque international sur M'hamed Boukhobza. Prenant comme point de départ d'un débat qui se doit de s'interroger sur le pourquoi de son assassinat, son livre sur les événements d'octobre 1988 intitulé Evolution ou rupture, les intervenants du deuxième acte du colloque organisé par l'Aardes ont soulevé la pertinence de l'ébauche de questionnement que Boukhobza avait tenté en soulevant la problématique du religieux, du pouvoir et du politique. Tout en témoignant de la rigueur et de la justesse des thèmes de recherche entrepris par Boukhobza, une sociologue a estimé que ce dernier était en fait en quête de démocratie. « Déjà à l'Aardes il a su poser les vraies questions qui restent encore maintenant à reposer, il suffit de revenir sur des sujets d'études comme le marché de la viande, les budgets familiaux. Mais avec son livre étonnant sur octobre 88 qui porte sur une réflexion personnelle que je peux ne pas partager, il pose la question de savoir : qu'est-ce que nous n'avons pas vu. Je crois qu'il faut absolument lire ce livre, notamment son chapitre pouvoir, démocratie et religion », souligne la sociologue et amie de Boukhobza. Se remémorant sa dernière conversation avec le défunt, ce fut à la veille de sa mort, il lui annonçait son intention d'organiser des réunions avec des hommes de religion pour réfléchir ensemble sur la situation à l'époque. « Il y a eu quelque chose qui s'était passée et on n'a pas vu évoluer les choses. Je crois qu'il est aujourd'hui indispensable que nous soyons capables de savoir pourquoi on l'a tué, pourquoi lui et pas d'autres, que s'est-il réellement passé ? », estime Mme Chaulet. Boukhobza et la sociologie marginalisés L'ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche, qui a suivi deux jours durant les travaux du colloque, est intervenu pour revenir sur le livre de Boukhobza. « Je l'ai connu à la présidence de la République lorsqu'il faisait partie du groupe de chercheurs patriotes contribuant à la réflexion pour une meilleure prise de décision. Son livre sur octobre 88 reflétait en grande partie les réflexions produites à l'époque à la présidence. C'était même la première fois dans l'histoire du jeune Etat algérien que le pouvoir de décision se dote d'hommes capables de réfléchir avant d'agir. Avant ce groupe, le pouvoir décidait et agissait sans réflexion au préalable », explique Hamrouche. Ce dernier affirme que l'approche de Boukhobza était plus globale qu'une simple réforme économique, « il pensait que si nous n'arrivons pas à réformer le système, le fait de réformer l'économie serait vain ». Hamrouche a soutenu en outre que Boukhobza n'était pas en contradiction avec ce qu'il avait écrit dans son livre et ses positions à la présidence, « il posait la question qui suit comment réformer l'Etat, en procédant par des solutions transitoires et pas définitives ». Hamrouche prend pour exemple l'avènement des événements d'octobre où les décideurs de l'époque étaient convaincus qu'il ne fallait pas aller vers un multipartisme immédiat mais commencer par un pluralisme politique et laisser le temps pour une adaptation graduelle avec la nouvelle situation à la fois par le système et la société. M. Belayat apporte à son tour son propre témoignage en soulignant que Boukhobza n'avait aucune prévenance pour le pouvoir politique, « il avait pour religion de dire ce qu'il démontre scientifiquement en étant vigilant sur l'interprétation qu'on pouvait faire des données des recherches ». Le sociologue Nadji Safir prend pour sa part un autre argumentaire en affirmant que les chercheurs ont été marginalisés par le politique. Lui qui a été comme Boukhobza à l'Aardes, puis à la présidence puis à l'INESG soutient que les sociologues étaient marginalisés. « Notre inquiétude était sur la faiblesse de la réflexion sur la société et la culture. Nous avions constaté que la démarche de compréhension de la société a été déviée à cause d'un économicisme qui marginalisait tout ce qui lui était différent. Je pense que la façon avec laquelle les réformes ont été conduites n'a pas été la meilleure », note le sociologue en précisant que la dimension sociale de la transition a été dévaluée. « Il ne peut y avoir d'économie possible sans régler les problèmes d'ordre social, culturel et politique, toute la problématique était posée en ces termes », indique Safir Nadji en espérant que la raison finira par avoir raison. Boukhobza écrivait en 1983 déjà ceci : « Apparemment et c'est bien dommage, la science et la connaissance ont besoin d'un petit coup de pouce administratif ou politique pour intéresser nos responsables. » Une phrase qui est malheureusement toujours d'actualité.