C'est le crépuscule. Le ciel change de couleur et la chaleur cède la place au froid qui pénètre sous les vêtements et envahit nos corps chauffés par le soleil torride de la journée. Le vent, qui soulevait sable et poussière, perd de la vitesse pour se coucher sous les ténèbres dans les creux de la terre. Nous sommes à plus de 1200 m d'attitude, au pied des montagnes rocheuses de Tadrart, région à forte attraction touristique, loin de 275 km du chef-lieu de la daïra de Djanet. Destination : le col d'Anaï, premier point frontalier avec la Libye, à 150 km de piste, de dunes, de sable et de terrains rocailleux. Patrouille, embuscade ou barrage. Les gardes-frontières de Djanet sont, tout le temps, sur le qui-vive, guettant leur proie. Ils travaillent sans relâche, veillent sur chaque mètre carré de nos frontières. En dépit de ses moyens limités par rapport à l'étendue du territoire très hostile, le 5e groupement des gardes-frontières accomplit sa mission qui est loin d'être une sinécure. Les hommes en vert passent souvent plus de 17 heures en uniforme. A bord de deux 4x4 de type Toyota en bon état et deux Station Land Cruiser qui consomment plus d'huile que d'essence, notre randonnée avec les gardes-frontières du 5e groupement est à sa quatrième heure. Nous sommes montés avec le lieutenant Ramzi. Un connaisseur du désert, car il fait ce chemin deux à trois fois par semaine. Il est chef d'un poste avancé situé à quelques encablures de la frontière libyenne. Equipé d'un Global System Position (GPS), Ramzi l'utilise rarement. Avant de rallier la prochaine zone, nous devons passer par l'oued Arikine. Les gardes-frontières sont sur le qui-vive. « Nous pouvons rencontrer ici des contrebandiers, car ils sont imprévisibles, n'empruntent jamais le même chemin et ne circulent qu'une fois la nuit tombée, dans l'obscurité totale. Souvent, ils ramènent avec eux des passeurs qui, eux, connaissent bien la région, point par point », nous explique le lieutenant qui vit dans cet environnement hostile depuis trois ans. Nourreddine, notre chauffeur, roule à grande allure, s'évanouissant entre les dunes sablonneuses. Derrière, le véhicule à bord duquel se trouve le commandant du 5e groupement, Ali Ouelhadj Yahia, et deux autres véhicules transportant le ravitaillement et le carburant. Le chemin à parcourir est encore long. Nous roulons tantôt sur du sable, tantôt sur des espaces rocailleux, parfois impénétrables. Mais pour ces hommes, rien n'est impossible. Ils bravent les dunes, les montagnes rocheuses et les pistes poussiéreuses. Difficile de trouver ses repères dans la nuit. Mais les gardes-frontières ne doivent aucunement s'arrêter qu'une fois arrivés à destination. Sauf extrême nécessité. Ils ne mangent pas, non plus, en route. Ces braves gens, avec leurs moyens limités, défient la nature et se lancent à la traque des contrebandiers. Face à l'incroyable austérité de la nature, les hommes en vert font souvent appel à leur intelligence et à leur sixième sens. Nous arrivons à oued Indjarène vers 23 h. La piste est coupée par un monticule de sable. « Il y a quelques jours, cette dune n'existait pas. Elle s'est constituée sous le vent », souligne le lieutenant. Ainsi, dans des situations comme celle-ci, les gardes-frontières sont contraints de prendre une autre voie sinueuse. « Des fois, nous faisons des détours de plusieurs heures, suivons notre tracé pour rejoindre un point qui n'est qu'à quelques kilomètres à vol d'oiseau. Nous n'avons pas d'autre solution, ainsi est fait le désert », ajoute-t-il. C'est ce genre de circuit qu'empruntent les contrebandiers. Djanet, comme toutes les autres régions du Sud, est gigantesque, au point de devenir incontrôlable, n'était l'éveil des hommes du 5e groupement. A 13 h, nous ne sommes pas encore arrivés à notre destination. Beaucoup de contraintes sur notre chemin. Véhicules ensablés à maintes reprises, un autre qui nous a lâchés à mi-chemin, plus exactement à l'entrée de Timarzouga. Le commandant décide de poursuivre la route sans le véhicule en panne en laissant deux éléments, en attendant de revenir le remorquer. Il reste encore du chemin à faire, près de 90 km. Mais le lieutenant, notre guide, a fini par perdre ses repères. Difficile de rouler de nuit dans le désert. Même les Touareg ne le font pas. Mais la discipline l'exige. Tentant de traverser un immense erg, la première Toyota s'ensable. Au moment où une équipe des GGF s'échinait à retirer la voiture, une lumière intense annonce de loin la présence d'un véhicule. Les gardes-frontières prennent leurs kalachnikovs. Soudain, plus rien. Une équipe part à sa recherche. Rien. Elle revient bredouille. Nous nous installons au pied d'une dune, allumant un feu et préparant le dîner. Il est 4 h. Un groupe de gardes-frontières est déjà parti remorquer le véhicule tombé en panne. Sans relâche Après une heure de repos, où il est difficile de trouver le sommeil, nous nous remettons en route. L'un des véhicules nous a devancés tôt le matin. C'est le groupe qui est parti aux aurores à la recherche du véhicule repéré il y a seulement quelques heures. Un peu plus tard, le véhicule est retrouvé. A bord, un groupe de contrebandiers venus de Libye pour rallier le Niger. Accompagnés d'un passeur et de son fils - à qui vraisemblablement il commence à montrer les chemins détournés et les ficelles du métier pour prendre un jour la relève -, les contrebandiers au nombre de cinq semblent être des Nigériens. Leur parler l'indique. Ils vivent de ce trafic. Ils se déplacent à travers le désert sans papiers, mettant leur vie en péril. Rien n'indique aussi que la voiture n'a pas été volée, car elle n'a pas de documents. « Montrez-nous vos papiers », demande le commandant. « Nous n'en avons pas », répondent-ils. « Et la carte grise de la voiture ? », renchérit-il. Niet. Ils n'ont absolument rien qui prouve leur existence, encore moins leur nationalité. Le passeur retire du fond de sa poche un vulgaire papier sur lequel nous pouvons lire : « Djamahiriya arabe libyenne démocratique et socialiste. Le peuple armé ». Selon l'explication du passeur, il s'agit d'une voiture appartenant à l'armée libyenne qui leur a été cédée sans qu'elle soit régularisée. Après avoir contrôlé le véhicule, l'un des gardes-frontières trouve une dague. Les contrebandiers transportent du carburant, des vêtements et des lots de couvertures et de draps qu'ils n'ont jamais déclarés au poste frontalier. Au Niger, le carburant se fait rare. Aussi, ils le revendent quatre fois son prix. Parfois, beaucoup plus. C'est comme cela qu'ils se font de l'argent. D'ailleurs, le trafic de carburant est très répandu chez les contrebandiers qui prennent la destination du Niger. Le groupe des « hors-la-loi » a été conduit au poste avancé le plus proche : le col d'Anaï. C'est là où les gardes-frontières ont procédé à une fouille minutieuse du 4x4 afin de s'assurer qu'il ne contenait pas des choses dissimulées dans les pneus, le réservoir, le moteur ou les portes. Rien ne leur échappe. Au poste avancé du col d'Anaï, nous trouvons une trentaine d'immigrés clandestins, arrêtés le matin par une patrouille. Ils traversaient à pied le désert. Accostant l'un d'entre eux, il nous dit : « Je suis très content d'être arrêté. Sinon on allait mourir mes compagnons et moi de faim et de soif. » Avis partagé par tout le groupe. « Nous enregistrons quotidiennement plusieurs arrestations de ce genre », nous apprend le chef du poste avancé. Après cette énième arrestation, les gardes-frontières suivent à la lettre les procédures requises pour ce genre de délit. Ils saisissent d'abord la monnaie étrangère (18 500 francs CFA). Le dinar étant autorisé. Ensuite, on leur donne à boire et à manger, avant de les transférer à Djanet où ils passent devant le procureur de la République, subissent un contrôle médical, avant d'être généralement reconduits aux frontières. C'est une lutte sans cesse, continue. Ce genre d'opération se répète à longueur d'année. Tous les jours, des dizaines, voire des centaines de personnes, rongées par la pauvreté et les conflits qui secouent leurs pays respectifs, entrent à travers la bande frontalière nigérienne, avant de tomber entre les mains des gardes-frontières de Djanet qui resserrent de plus en plus l'étau autour d'eux. Depuis le début de l'année, il y a eu 579 immigrés clandestins qui ont été arrêtés, contre 456 l'année dernière. Ils viennent du Niger, du Nigeria, du Ghana, du Mali et, à un degré moindre, du Cameroun. En sus, 24 voitures ont été saisies ainsi que des sommes importantes de différentes monnaies. Ainsi, le travail des gardes-frontières dans cette immensité territoriale très hostile est loin d'être une sinécure. Pour faire face aux multiples délits, ils intensifient leur présence sur le terrain et renforcent les patrouilles. Sur onze mois, le 5e groupement de Djanet a opéré 336 embuscades, 472 patrouilles et 187 barrages.