La ligne éditoriale et la proximité avec les cercles du pouvoir semblent être un facteur aggravant ou encourageant, selon le cas, pour voir naître un nouveau journal. Créer un journal est une entreprise des plus ardues en Algérie. Ce pays dit des miracles fait surgir des empires financiers du néant, alors que pour ouvrir un journal il faudrait attendre que la grâce des cieux atterrisse sur une terre peu clémente pour les journalistes. L'aventure intellectuelle est en Algérie ce que la pluie est pour une plante qui essaye de survivre dans le désert. Après l'ouverture au forceps de la presse écrite au privé au début des années 1990, la presse indépendante a su gagner un lectorat large et varié. Aujourd'hui, après presque deux décennies d'un exercice vacillant de la démocratie en Algérie, le champ médiatique est soumis au diktat suivant : pas de nouvelles éditions sans un consentement en haut lieu.Alors que l'article 14 de la loi 90 stipule que « l'édition de toute publication périodique est libre », cette liberté s'avère aujourd'hui rétrécie pour n'utiliser que cet adjectif afin de qualifier une situation de contrôle accru par les pouvoirs publics sur les espaces d'expression. Le même article 14 souligne que la création d'un périodique doit se suffire à une déclaration préalable : « L'édition est soumise, aux fins d'enregistrement et de contrôle de véracité, à une déclaration préalable, trente (30) jours avant la parution du premier numéro. La déclaration est enregistrée auprès du procureur de la République territorialement compétent du lieu de parution de la publication. La déclaration est faite sur papier timbré, signée par le directeur de la publication. Il lui en sera délivré, sur-le-champ, un récépissé. » Ce récépissé autorise l'éditeur à imprimer sa publication au bout de ces trente jours même sans avoir eu de réponse du procureur. Or la réalité est tout autre, le département de la justice, censé veiller à l'application stricte de la loi, prend parfois des années avant de délivrer ce fameux agrément qui fait languir tant de demandeurs avides d'avoir leur propre espace d'expression. Entre loi et réalité Et même si la loi autorise la publication à travers ledit récépissé, les imprimeurs refusent de se soumettre à une telle directive de peur d'avoir à subir une quelconque responsabilité liée au choix éditorial de l'éditeur. « J'ai déposé ma demande d'agrément en novembre 2007 et, depuis, j'attends toujours une réponse qui ne vient pas, même si la loi m'autorise à imprimer au bout de trente jours, l'imprimeur le refuse par peur de représailles », souligne Khadidja Chouit qui, animée par la volonté d'avoir un espace d'expression, a choisi de se tourner vers internet, cet espace d'expression ne demandant ni autorisation ni encore des mois ou des années d'attente. Le journaliste Arezki Aït Larbi attend pour sa part une réponse à sa demande d'agrément pour créer un hebdomadaire depuis février 2005. « A ma première surprise, je n'ai même pas eu droit au récépissé pourtant prévu par la loi. Au niveau du parquet de Hussein Dey, on invoque la situation d'état d'urgence pour me refuser le droit d'obtenir un récépissé. Ce n'est qu'une année plus tard que j'apprends de manière non officielle auprès d'une personne du département de la justice que l'avis favorable du ministère de la Communication n'est pas délivré. Je formule une demande auprès des services de ce ministère et, depuis, j'attends toujours une réponse », explique Arezki Aït Larbi. Ce dernier arrive à avoir un rendez-vous avec l'ex-responsable de la presse écrite au niveau du ministère de la Communication en mars 2008 qui lui apprend qu'une vingtaine de titres spécialisés ont obtenu l'autorisation du ministère. « Il semble que si j'avais voulu créer un journal sur le tricot ou la pêche j'aurais obtenu mon agrément », nous dit notre interlocuteur qui a décidé d'adresser une lettre, le 3 mai courant, au ministre de la Communication pour lui demander de notifier par écrit le refus de cette autorisation en y soulignant les motifs légaux qui le motivent. « Je crois qu'il s'agit là d'une discrimination, il faut que l'opinion sache sur la base de quels critères on crée des titres et on distribue la publicité étatique. J'espère qu'ils auront le minimum de courage de me dire on ne vous le donne pas », note Aït Larbi. Mystère autour du nombre de demandes d'agrément Des demandes similaires restant sans réponse il en existe beaucoup mais que le département de la justice ou encore celui de la communication refusent d'en rendre public le nombre. Nous avons tenté de joindre un responsable au niveau de la direction des affaires civiles au niveau du ministère de la Justice aux fins d'avoir le seul nombre de demandes d'agrément déposées au niveau de ce service. Nous fûmes étonnés que notre question puisse soulever autant de gêne et de désappointement auprès de la préposée qui nous a répondu au téléphone. « Que voulez-vous faire avec ce chiffre, pourquoi le demandez-vous, vous n'avez pas à le savoir, cela ne concerne que nos affaires internes », nous dit-elle sur un ton mi-choqué, mi-agressif. Notre étonnement fut d'autant plus grand lorsqu'elle nous dit de ne pas chercher à le savoir. Pourquoi tant de mystère autour de ce nombre de demandes d'agrément, pourquoi cela suscite-t-il autant de gêne ? La réponse semble évidente, les pouvoirs publics qui se targuent d'avoir une loi qui libère la création de journaux veulent cacher la manière avec laquelle cette liberté est limitée. Le nombre de demandes non honorées par des réponses fait éclater au grand jour cette réalité de limitation de l'exercice de la liberté de publication. « Le jour où je suis allé déposer ma demande d'agrément, j'ai trouvé pas moins de huit autres demandes en attente au niveau du bureau du procureur près le tribunal de Hussein Dey. J'ai même entendu dire que le nombre de demandes d'agrément enregistrées sur tout le territoire national est de 400 », nous confie Khadidja Chouit. Aura-t-elle à attendre trois années comme le journaliste Ahmed Benallam pour pouvoir avoir entre les mains ce fameux agrément et avoir enfin la chance de rendre possible un rêve. M. Benallam vient d'obtenir son agrément afin de créer une publication pour enfants, un projet qui, à première vue, ne devrait pas faire hésiter les pouvoirs publics et pourtant. « L'article 24 de la loi 90 stipule qu'une publication pour enfants doit mettre en place un comité d'orientation qui doit être agréé mais il se trouve qu'il existe un vide juridique sur la tutelle censée l'agréer. Le ministère de la Justice le renvoie à l'éducation qui, elle, refuse d'en prendre la responsabilité. J'ai donc mis trois années à courir », nous explique Benallam. Saïd Doudane, responsable de la presse écrite au niveau du ministère de la Communication, affirme qu'aucune demande d'autorisation de publication en français n'est restée en instance au niveau de ce ministère. « Nous avons refusé trois demandes pour dossier incomplet. Quant à ceux que nous avons autorisés, certains attendent leurs bénéficiaires qui ne se sont pas manifestés », nous dit-il. Le ministre de la Communication, Abderrachid Boukerzaza, a souligné récemment que le nombre d'autorisations de publications octroyées depuis juillet 2007 jusqu'à ce jour par son département s'élève à 29. Pourquoi des publications sont autorisées au détriment d'autres, la réponse nous ne l'aurons pas, le ministre affirme qu'à son niveau « il n'existe pas de critères de sélection ». Où donc ces critères sont-ils appliqués ? Des questionnements s'imposent lorsque nous constatons que des éditions ont des facilités par rapport à d'autres. La ligne éditoriale et la proximité avec les cercles du pouvoir semblent être un facteur aggravant ou encourageant, selon les cas, pour voir naître un nouveau journal.