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« La presse indépendante a suppléé à la démission de l'opposition démocratique » Me Mustapha Bouchachi. Président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme
Quel regard porte le militant et avocat des droits de l'homme sur la situation de la liberté de la presse et son évolution ces dix dernières années ? La régression est générale. D'abord, sur le plan de la législation. Le code pénal, amendé en 2001, et le maintien de l'état d'urgence, constituent des obstacles sérieux pour la liberté de la presse. L'état d'urgence donne des prérogatives larges aux ministres de l'Intérieur, de l'Information de suspendre des journaux. Pour les journalistes algériens, il est de plus en plus difficile de travailler sous ce genre de textes et de pressions. En plus de ce dispositif juridique liberticide, il y a une réalité incontestable : les institutions algériennes elles- mêmes ne respectent pas les textes. L'exemple du code de l'information de 1990 est à ce titre édifiant. Si l'on s'en tient à ce texte, il suffit d'aviser le procureur territorialement compétent pour lancer un journal ; or ce n'est plus le cas maintenant. Il faudrait pour ce faire obtenir une autorisation du procureur de la République, du procureur général, du ministère de la Justice, etc. La délivrance du précieux sésame se fait aussi et malheureusement à la tête du client. S'il est toujours possible de créer un journal privé, il est néanmoins très difficile de lancer un journal indépendant. Quelle est la nuance entre les deux ? Il y a une presse privée, des journaux indépendants... pour des tas de raisons d'ailleurs, juridiques, économiques et financières, etc. Quelles seraient, d'après vous, les forces qui travaillent de l'intérieur, ou influent de l'extérieur sur cette presse ? La seule force est le pouvoir. Le régime algérien utilise cette presse indépendante pour vendre une image. Indépendante, elle ne l'est pas tout à fait. Cela transparaît dans son comportement peu ou pas du tout agressif envers le pouvoir. Le régime utilise toutes sortes de moyens de pression économiques et financiers pour influer sur les lignes éditoriales. Les intérêts financiers, les puissances de l'argent sont aussi présentes. Ceci dit, par rapport à d'autres pays de la région, il y a de quoi être fier de notre presse. Elle a fait du chemin comparativement aux autres acteurs de la société civile. Pour nous, militants des droits de l'homme, son existence est positive. Malgré les pressions, le fait que la justice ne soit toujours pas indépendante, la presse contribue au processus de démocratisation de notre société. Cette presse qui se trouve dans une position beaucoup plus favorable par rapport à la société civile et par rapport à l'opposition politique. Pour une société muselée, la seule voie de recours reste la presse. Le régime algérien, faut-il le rappeler, refuse l'agrément pour la création de nouveaux partis politiques, syndicats autonomes, à des ONG des droits de l'homme, refuse d'autoriser la moindre activité publique. Doit-on, selon vous, présenter la presse indépendante comme un appendice de cercles influents ; autrement dit, est-elle l'otage de quelques obscurs et secrets « services » ? Otage des services ? (temps de réflexion). Non... Je pense qu'à une période donnée de l'histoire, aux moments forts du terrorisme, le régime algérien a fait passer ses messages à travers une certaine presse. Depuis, beaucoup de titres se sont ressaisis. On sent chez eux une certaine indépendance. Une presse indépendante ne sert-elle pas d'alibi pour le pouvoir, soucieux qu'il est sur la scène internationale de soigner sa vitrine démocratique ? Oui, la presse est arborée par le pouvoir comme une preuve de pseudo « démocratisation » en cours en Algérie. Il est vrai aussi que comparativement à la Tunisie ou à l'Egypte, notre presse est plus critique vis-à-vis du régime et de ses symboles. Dans son discours d'investiture, le président Bouteflika a évoqué la presse libre et s'est engagé à la respecter. Serez-vous de ceux qui lui prêteront cette prétention ? Je ne pense pas que c'est dans le canevas du régime algérien de laisser la presse s'exprimer librement. Je ne soupçonne chez lui aucune volonté politique de laisser la presse faire son travail. Preuve en est que l'instrumentalisation continue de la justice est pour museler la liberté d'expression et le maintien en l'état des articles du code pénal condamnant les journalistes à des peines d'emprisonnement. Lorsque des journalistes, des correspondants régionaux, sont traînés devant les tribunaux, par dizaines et quotidiennement pour atteinte à corps constitués, diffamation… et sont condamnés à de lourdes peines, cela ne peut en aucun cas être un motif de fierté pour l'Algérie. D'ailleurs, je tiens à cette occasion rendre hommage aux journalistes algériens qui, malgré la rétention de l'information, le harcèlement judiciaire, continuent à faire leur devoir d'informer l'opinion publique. Pensez-vous que la presse indépendante est dans son rôle en versant dans l'opposition frontale au régime, comme le prétendent des observateurs de la scène politique…Si c'est le cas, comment peut-elle résoudre ses propres contradictions, comment concilier objectivité et engagement ? Je pense que c'est une réalité. Face à la démission de l'opposition, de la classe et personnalités politiques, la presse indépendante prétend effectivement jouer ce rôle. Pour moi, il s'agit d'une réalité positive. Nous l'avons constaté lors du dernier scrutin, alors que la classe politique désertait la scène de l'opposition, la presse avait pris le relais.