Rachid Taha, un « ANI » qui a réussi, un Arabe non identifié. Un être chantant non identifié. Comment le définir ? Un cinquantenaire joyeux, espiègle, grave et léger à la fois, profond et superficiel. Dans son autobiographie, il se raconte grave. Paris : De notre bureau A l'origine, cet article devait être une interview, mais pour joindre la star du rock il fallait faire toute une gymnastique. D'abord, contacter l'attachée de presse de sa maison d'édition, lui envoyer un mail de présentation, dire ses disponibilités, ensuite, elle-même, elle forward le courriel (fait suivre) à l'agent de Rachid Taha qui étudie le dossier et enfin le transmet à l'artiste. Pour la réponse, aucune idée de la procédure. Les lecteurs d'El Watan seront donc privés d'interview. Après quelques semaines d'attente, ponctuées de vaines relances, c'est toujours silence radio du côté des Lilas, son lieu de résidence. Certains artistes algériens ou d'origine algérienne s'amusent à ce jeu. Fiers de leurs origines sur les plateaux de télé, devant les caméras mais snobinards avec la presse algérienne. Pas assez vendeurs et puis les lecteurs algériens, n'est-ce pas c'est connu, n'achètent ni de livres ni de disques. Pas avec leur pouvoir d'achat, leurs dinars et leur inculture ! La première personne à opposer un refus brutal à une interview à El Watan est la talentueuse Nina Bouraoui. « Elle refuse de rencontrer les journalistes algériens », nous confiait une attachée de presse. Nous avons pris acte et avions honnêtement salué son œuvre. Revenons donc à Rachid Taha, pour saluer un artiste majeur sans frontières, un rocker unique. « L'Algérien pour toujours, Français tous les jours », et à part sa parenthèse commerciale avec Khaled et Faudel, a sa place de son vivant au Panthéon du rock. Il sait tout faire. Ses albums gagnent en épaisseur à chaque fois, même Si Bara bara (Medina) demeure son œuvre la plus aboutie, la plus personnelle. Difficile de parler de quelqu'un qu'on aime et qu'on admire (et le mot n'est pas exagéré). Dans sa biographie écrite avec Dominique Lacout (Flammarion), le plus Indie des chanteurs (cette fois-ci on ne parlera plus de nationalité, aucun intérêt), laisse percer une grande sensibilité qu'il cache maladroitement avec un humour décalé, ironique. Rachid Taha est à la musique ce qu'est Hanif Kureishi à la littérature : un défricheur inégalable, un atomiseur du conservatisme. Sur le plan musical, artistique, Rachid Taha n'a pas son équivalent sur la planète rock, ni ailleurs. Pour ses positions politiques, c'est plus délicat. De là à voir en Sharon un homme de paix, lui, le planificateur de la Nakba palestinienne, faut pas exagérer… Ses positions sur les Berbères, les Chiites, les Iraniens, les Turcs sont douteuses. Pourquoi faut-il, selon lui, détruire les centrales nucléaires iraniennes ? « Les Iraniens sont les ennemis des Arabes. Ils sont chiites et veulent éliminer les sunnites ». (page 266), carrément ! Rien que ça. Quelques lignes plus loin. « Les chiites sont des Perses, des Indo-Européens, pas des Arabes. Comme les Turcs qui, eux aussi, détestent les Arabes ». Bonjour la nuance. Au secours Rachid, plus d'analyses géostratégiques ! « L'Algérie traverse une crise d'identité. C'est un pays à la fois africain, arabe, (la communauté berbère te salue bien bas pour cet oubli volontaire), qui a flirté avec le marxisme, qui est devenu anti-français et qu'on dit désormais occidental ou sur le point de le devenir. (…) C'est un pays riche. Riche par son histoire, riche par ses potentialités. Riche aussi par son pétrole. Mais où passe l'argent ? Alors, pourquoi ce pays fabuleux est-il laissé à l'abandon ? J'ai expliqué tout ça à une journaliste algérienne venue m'interviewer. Elle n'en revenait pas. Elle n'était pas habituée à une telle liberté de ton ». Voilà un discours révolutionnaire que les journalistes algériens n'ont jamais, selon l'interprète de Ya Rayah, entendu. Des clichés surprenants. Comme c'est lui et comme nous ne sommes pas rancuniers, nous passerons l'éponge sur les approximations et les stéréotypes, nous continuerons à applaudir un artiste de génie (l'adjectif n'est pas inapproprié) et à le soutenir. Sa biographie est indispensable pour tous les amoureux du rock et de Rachid Taha. Du rock, pas de raï, la précision est vitale.