On remballe tout. Place nette. Par dizaines, les militants du Hezbollah, de Amal et du Courant patriotique libre s'affairent à démanteler le camp retranché installé depuis décembre 2006 autour du Grand Sérail, le siège du gouvernement Siniora. Commerçants et banquiers retournent de leur côté inspecter leurs locaux dans ce centre-ville flambant neuf, assiégé durant des mois par ces tentes aux couleurs jaune et orange de l'opposition et par les barbelés militaires. Suite à l'accord de Doha annoncé hier matin, l'opposition s'est engagée à lever le camp, signe le plus ostentatoire de la désobéissance lancée en décembre 2006. Et, moins de deux heures après l'ouverture de cet immense chantier, les cafés du « downtown » érigé par le défunt Premier ministre Rafic Hariri ont rouvert, dressant déjà des terrasses prises d'assaut par des clients après des mois de vide déprimant la Bourse de Beyrouth. « On reprend vite le dessus sur le vide : c'est impressionnant de voir comment la zone est envahie par les piétons, les agents de nettoyage, les voitures, les cameramen », dit Rania, venue filmer ce que l'on considère comme un moment historique, une joyeuse kermesse, ou juste le temps d'une trêve, selon les opinions. « O.K., nos chers leaders sont tombés d'accord à Doha, mais demain ? S'il y a une autre crise autour d'un détail ou un autre, on replongera dans les batailles de rue ? », s'interroge Sami, étudiant en droit des affaires. « Et en plus, il leur a fallu que 70 personnes soient tuées pour qu'ils se rendent à l'évidence, et malgré cela, ils ont failli tout faire capoter à cause d'une chaise d'élu au Parlement (allusion aux âpres négociations à Doha autour de la loi électorale) », poursuit-il. « Le plus urgent est de parer à la violence, de désamorcer d'éventuels affrontements car la tension demeure dans la rue », estime Marwan, sympathisant du courant Futur de Saâd Hariri, chef de file de la majorité. De l'autre bord, Hani, étudiant proche de l'opposition, considère prioritaire que « la question de l'arsenal du Hezbollah, dont les discussions ont été reportées pour l'après élection du chef de l'armée (le général Michel Sleimane, 59 ans, candidat consensuel) doit se limiter au cadre de notre résistance contre Israël qui continue d'occuper les fermes de Chebaâ dans le sud ». Au palais présidentiel de Baâbda, sur les hauteurs de Beyrouth, on s'affaire à dépoussiérer les meubles et à tondre les pelouses, après six mois de vacance du poste de chef de l'Etat, en prévision de son élection le dimanche 25 mai, également huitième anniversaire de la libération du Sud Liban. Néanmoins, les Beyrouthins hésitent avant de se souhaiter « Mabrouk ! ». « Je reste pessimiste car ce qui s'est passé à Doha n'est que retouches », soupire Roger Assaf, le grand homme du théâtre arabe et libanais. A ses yeux, rien n'est réglé tant que « les ghettos communautaires existent, tant que les hommes politiques ne sont pas jugés devant l'histoire et tant qu'on dirige les mémoires vers le rejet de l'autre ». Car, d'après lui, pour ce dernier point, les Libanais, musulmans, chrétiens ou autres ont vite oublié leur union durant l'agression israélienne l'été 2006. D'ailleurs, hier à Beyrouth, peu de gens se sont rappelé le premier anniversaire de la « bataille de Nahr El Bared » dans le nord, entre l'armée et Fatah El Islam qui a détruit tout un camp de réfugiés palestiniens. Dans un pays, ou pour reprendre un journaliste, « les livres d'histoirepréparent des guerres à venir », il arrive souvent qu'on « oublie beaucoup de choses, notre guerre civile, nos anciens protecteurs syriens, nos ennemis, parfois israéliens, parfois palestiniens, parfois même nos voisins de palier. Et un jour, ça tombe sur nous et on se demande toujours pourquoi ».