A Tédek, une des communes d'Agadez, au nord de l'Aïr, Aghali Ag Alambo a installé son quartier général à quelques kilomètres des villages nomades. Sous les acacias, entouré de son commandement militaire et de son bureau politique, il a la sérénité de la quarantaine, ajoutée à celle du Targui et le sourire qui lui colle au visage. Souvent occupé à son téléphone satellitaire, cet ancien préfet d'Agadez et ancien responsable d'agence touristique est un combattant de tous les fronts. Ancien aussi de la rébellion nigérienne des années 1990, il a décidé, en février 2007, de reprendre les armes avec d'autres anciens combattants, comme son frère Boubacar Ag Alambo, premier martyr, dans les accrochages de Tizerzit en juin 2007 de cette seconde rébellion dans l'histoire du Niger indépendant. Six bases militaires avancées et dix unités mobiles autour des monts Tamgak, jusqu'à la porte ouest du Ténéré sablonneux, qui fait face au versant est de Tamgak, en passant par les montagnes d'Aghaldi, les monts de Bagzane jusqu'à ceux de Taghmart, son mouvement, le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) maîtrise tout l'Aïr, région touarègue du nord du Niger, devenue, avec cette rébellion, le refuge des nombreux griefs de toutes les composantes ethniques du Niger, dont nous avons pu rencontrer les représentants contre le pouvoir de Niamey. Dans cet entretien réalisé le 21 mai dernier, dans son fief à Tédek et qu'il accorde pour la première fois à la presse algérienne, Aghali Ag Alambo nous parle des raisons profondes qui l'ont poussé de nouveau, lui et ses compagnons, à la rébellion. Voilà seize mois depuis que le MNJ, que vous dirigez, a lancé une insurrection contre le pouvoir de Niamey. Quel bilan faites-vous après plus d'une année de rébellion ? Aghali Ag Alambo : Nous avons un bilan très différent de ce que nous avons fait pendant la première résistance qui a duré quatre ans dans cette zone. C'est un bilan très différent par rapport à la première rébellion que ce que nous faisons au MNJ : nous contrôlons toute la zone de l'Aïr. C'est un bilan que nous n'avons pas pu réaliser pendant la première résistance qui avait abouti à l'accord de paix de 1995. Pourquoi avez-vous pris encore une fois le maquis ? Les accords de paix n'ont-ils rien donné ? Il n'y a pas eu l'application des accords de paix de 1995. Le gouvernement nigérien n'a pas rempli les engagements et respecté les accords de paix. Nous avons fait des marches, exercé des pressions et attendu pendant dix ans, mais le gouvernement nigérien a fait la sourde oreille et n'a pas voulu nous voir ni nous entendre. Les accords de paix comprenaient notamment un programme de décentralisation et de réinsertion des Touareg et des autres composantes du pays pour être employés dans les différentes sociétés, anciennes ou nouvelles, qui s'installent dans la région. Or, le gouvernement n'a pas respecté ses engagements.Nous avons donc donné du temps en nous disant que c'est vrai, le Niger est un pays pauvre qui n'a pas de moyens et nous étions étions obligés de faire avec la situation qui existait. Maintenant, au moment où les prix de l'uranium ont grimpé et où de nouvelles sociétés de recherche s'installent dans la région, le gouvernement nigérien n'a toujours pas voulu aller dans le sens de la réinsertion et de l'emploi. Cela a donc poussé à une deuxième rébellion avec plus de trois mille combattants. On a tout fait pour l'application des accords jusqu'à être fatigués. Maintenant, nous avons repris les armes, un choix que nous n'aurions pas voulu, mais c'était la dernière solution. Nous sommes dans un monde, le tiers-monde, qui refuse de voir en face les démarches politiques pacifiques, telles que nous les avons faites. Comme si nous n'existions pas. Mais au moment où vous prenez une arme et que vous tirez en haut, on se demande ce que l'on veut. Le monde ne peut pas continuer comme ça. Il faut que les gens admettent les droits des autres. Le gouvernement nigérien doit se rendre compte qu'il y a un problème. Mais il ne faut pas que ce problème soit résolu, seulement lorsqu'il y a une violence d'arme. A ce propos, le gouvernement nigérien vous traite de « bandits » et de trafiquants de drogue et ne reconnaît pas votre mouvement ? Que répondez-vous à ces accusations ? Le gouvernement nous qualifie de trafiquants de drogue, de « délinquants » quelquefois de « terroristes »... Ce qui est bizarre pour nous, c'est que ce même gouvernement est un transitaire de cette drogue. Tous les responsables de l'armée établis dans cette région font d'elle, un transit entre les frontières de la bande saharienne, en plaçant leurs hommes de confiance. Que pensez-vous de l'arrestation par les autorités nigériennes des journalistes, comme le Nigérien Moussa Kaka, qui ont tenté de vous approcher et à travers vous le MNJ pour faire leur travail de journaliste ? Parce que le gouvernement ne veut pas montrer ce qui se passe au nord du Niger. Aujourd'hui, le gouvernement est incapable de montrer la vérité et la souffrance de la population qui vit dans cette. Pour lui, c'est une honte que les journalistes découvrent et montrent la réalité des choses, alors que le gouvernement est en train de chanter à l'opinion nationale et internationale que nous sommes, nous, un petit groupe de « bandits » de « délinquants », de « trafiquants »... La rébellion est particulière du fait qu'elle réunit les différentes composantes sociales du Niger et les différentes ethnies. Elle n'est pas seulement touareg, le Mouvement des Nigériens pour la justice est-il une force solide ? C'est une grande force pour nous et c'est un très grand équilibre aussi sur les plans politique et militaire. Nous avons, aujourd'hui, des gens qui étaient des responsables dans l'armée nigérienne. Depuis l'assassinat de l'ex-président, Ibrahim Baré Maïnassara, le gouvernement nigérien a voulu les écarter. D'autres sont en exil au Tchad et dans d'autres pays d'Afrique. Et, aujourd'hui, ces responsables sont ici avec nous. Ils ont un poids au sein de l'armée nigérienne et au sein des différentes tribus. L'armée nigérienne ne veut pas se mettre face à nous, parce qu'elle sait que nous avons l'avantage de cet équilibre avec les responsables de l'armée qui nous ont rejoints et qui représentent aussi d'autres ethnies du Niger : haoussa, germa, arabe, peuls et toubou du Niger. Depuis février 2007, vous avez mené plusieurs attaques contre des postes de l'armée nigérienne. Constituez-vous aujourd'hui une force avec laquelle le gouvernement nigérien finirait par dialoguer ? Le gouvernement nigérien a essayé de mener différentes offensives. Mais aujourd'hui, presque tous les officiers du Niger savent qu'ils ne peuvent plus contrôler le combat terrestre. Ils recourent donc aux avions et aux hélicos. Ils sont convaincus que le combat terrestre est très difficile à mener. En juin dernier, à Tizerzite, au nord-est d'Agadez, il y a eu un massacre de la population dans lequel trois vieillards étaient aussi torturés avant d'être tués. Qu'explique pour vous un tel acte de la part des éléments de l'armée nigérienne ? L'armée nigérienne est une armée qui n'est pas républicaine. Nous, nous avons besoin d'une armée républicaine qui protège la population et non pas d'une armée qui prenne la population en otage. Comme si cette population est constituée de rebelles. Chaque fois que l'armée arrive dans la région (Aïr, nord Niger. ndlr), les responsables reçoivent comme instruction d'exécuter la population et même les animaux. Les éléments sur le terrain sont donc obligés d'exécuter les ordres de leur hiérarchie. C'est ainsi que chaque jour, ils tuent la population et les chameaux qui les font vivre. De plus en plus de personnes, les responsables locaux, les maires notamment, témoins d'injustices et d'exactions, ont décidé de rejoindre le MNJ. Pensez-vous que votre mouvement va en s'agrandissant ? Oui, le mouvement va de plus en plus s'agrandir. Des élus des différentes communes regagnent le mouvement ainsi que d'anciens tour-opérateurs et d'autres responsables qui ont déjà investi dans la région. Avec la lutte que nous menons, ils savent que c'est la seule solution pour essayer de changer ce système au Niger et pour aller dans le sens du vrai développement de la région. Pensez-vous que les autorités de Niamey vont reconnaître votre mouvement et traiter avec vous ? Ça c'est clair. Il est obligé de reconnaître le MNJ et d'aller dans un pays pour se mettre autour d'une table pour régler le problème du Niger et toutes les revendications. Une quelconque démarche a-t-elle déjà été tentée entre le gouvernement nigérien et le MNJ pour un dialogue ? Il y a deux semaines, le gouvernement a essayé de nous contacter en disant qu'il a dégagé un « comité de paix » au sein même du gouvernement, composé du ministre de la Défense, du Premier ministre, celui de l'Intérieur ainsi que de quelques ministres touareg et quatre députés de la région. Le gouvernement voulait que nous rencontrions ce comité à l'intérieur du Niger. Pour nous, en tant que mouvement, si une rencontre doit se faire, il faut que cela soit à l'extérieur du Niger : nous n'avons aucune confiance dans le gouvernement nigérien. Il faut donc un arbitre entre nous, et il faut que cet arbitre soit à l'extérieur. Les accords de paix de 1995 sont-ils toujours valables pour vous ? Non. Aujourd'hui, pour nous, ces accords ne sont pas valables. Parce que la plupart des officiers, qui étaient dans la première rébellion de 1991, se retrouvent aujourd'hui avec nous au MNJ, avec d'autres revendications. Nous avons voulu que les accords de paix soient appliqués, mais le gouvernement nigérien nous a complètement ignorés. C'est pour cela que nous avons repris les armes.