Pétrole contre nourriture ». Un expert présent aux quatrièmes journées parlementaires sur la défense nationale, organisées par le Conseil de la nation samedi et dimanche au Cercle national de l'armée (CNA), à Alger, et consacrées à « la défense économique », a eu peut-être l'expression qu'il fallait pour schématiser la situation actuelle de l'Algérie. Un pays qui n'exporte que du pétrole et du gaz et qui importe le plus gros de sa consommation alimentaire. Hamid Aït Amara, spécialiste en économie agricole, ne cesse de le répéter : « L'Algérie importe tout : lait, céréales, huiles végétales, aliments du bétail. La facture alimentaire va dépasser les 7 milliards de dollars en 2008. Plus grave, ce montant va doubler vers 2015, selon les prévisions. » Il a souligné que l'Algérie paye ses importations de 30 à 40% de plus que le niveau moyen des prix de la période 2000-2005. L'expert, qui souffre d'une marginalisation manifeste des pouvoirs publics, est inquiet par la réduction dramatique des terres agricoles. « Nous avons le rendement le plus faible de céréales en Méditerranée. L'Algérie manque d'eau. La plaine de la Mitidja est déjà consommée. L'Algérie est vulnérable à l'arme alimentaire », a-t-il remarqué. Salah Mouhoubi, économiste, a relevé que sur le plan agricole, l'Algérie utile ne représente que 40 millions d'hectares, dont 8,8 millions d'hectares sont cultivés de manière intensive pour nourrir la population. « Sur ces 40 millions d'hectares, 12 millions d'hectares sont sérieusement menacés par la désertification. Pendant ce temps, la population augmente, et donc, il faut produire plus pour maintenir la facture alimentaire à un niveau acceptable, car, de toutes les façons, la production nationale est incapable de satisfaire les besoins croissants », a relevé M. Mouhoubi, soulignant que le désert représente actuellement 2 millions km2 de la surface du pays. « Cette réalité devrait inciter à faire de la lutte contre la désertification une priorité nationale. Faute de quoi, le pays tout entier serait condamné à devenir un désert aride », a-t-il prévenu. Il a regretté que l'Etat veut construire une nouvelle ville à Bouinan (Blida), en plein cœur de la Mitidja. « On ne doit plus construire dans la Mitidja. Ces terres doivent être préservées », a-t-il dit. M. Aït Amara a plaidé pour l'élaboration d'une réelle politique agricole qui s'appuie sur les paysans. Selon M. Mouhoubi, des politiques inadaptées ont été menées par le passé en matière de l'hydraulique. « La perspective d'importer de l'eau pour la satisfaction des citoyens et les craintes de désordre public ont poussé les autorités à réagir », a-t-il noté. La maîtrise de l'eau est, selon lui, un enjeu capital dont dépend la survie du pays. IM. Mouhoubi a évoqué les manifestations de la non-maîtrise de cette politique : terres utiles perdues, urbanisation anarchique, équipements publics saturés, pollution... Il a rappelé le lancement du schéma national de l'aménagement du territoire (SNAT) doté d'une stratégie à long terme. « Il faut espérer que les pouvoirs publics fassent preuve de constance et de détermination dans la mise en œuvre du SNAT », a-t-il noté. Djoudi Bouras, chargé d'étude au Conseil national économique et social (CNES), a fait un plaidoyer pour la décentralisation. « Les diversités territoriales constituent une chance pour le développement (...). Les territoires sont des boucliers contre les infortunes des conjonctures économiques », a-t-il noté, estimant nécessaire de doter les collectivités locales de moyens pour se prendre en charge. « Les relations entre l'Etat central et les territoires continuent d'être régies par des textes vieux de plus de vingt ans », a-t-il constaté. Il est important, selon lui, que l'Etat inscrive la connaissance et le savoir dans les plans de développement de l'ensemble des secteurs. Mourad Preure, enseignant en géopolitique et expert pétrolier, a estimé que la souveraineté nationale sera fondée sur « l'excellence, l'innovation et la compétitivité des acteurs nationaux, au premier rang la compagnie pétrolière nationale solidement articulée à l'université et à la recherche scientifique ». M. Preure ne partage pas l'idée que les ressources pétrolières soient « une malédiction ». Comparant ces ressources à un fleuve, il a défendu leurs « vertus structurantes » et leur « impact fort ». « Mais tout dépend de l'usage qu'on en fait, et là est tout le problème (...). Ces ressources induisent des questions impératives : quelle politique de gestion des réserves nationales ? Quel rôle assigner à nos acteurs énergétiques ? Quels problèmes de sécurité nationale sont posés par la situation énergétique internationale ? », s'est-il interrogé. Il faut se préparer, selon lui, à une hégémonie du Moyen-Orient sur l'industrie gazière mondiale. Cette zone va tripler sa production gazière d'ici à 2030 et sera donc un acteur dans le GNL (Iran et Qatar). « Elle va forcément attaquer les marchés traditionnels de l'Algérie. Il faut donc préserver des volumes pour se battre demain pour défendre ses parts de marchés », a-t-il prévenu.