Les pays consommateurs de pétrole affichent de vives inquiétudes au sujet des niveaux actuels des prix de l'or noir. La crainte d'une récession économique mondiale ravive les débats. Réunion du G8 (grands pays industrialisés) par-ci et entrevues d'urgence aux institutions européennes par-là, la tension est à son paroxysme. Les pays du G8, réunis dimanche dernier au Japon, n'ont pas caché leur angoisse quant au niveau actuel du brut et ont vite brandi le spectre d'une récession. Le G8 a jugé alors « si urgent » d'augmenter la production mondiale. Mais l'Opep, par la voix de son président en exercice, Chakib Khelil, a écarté l'hypothèse de la production insuffisante défendue à cor et à cri par les pays consommateurs. Selon le président de l'Opep, le prix du baril de pétrole serait de 70 dollars « s'il n'y avait pas de bulle spéculative », soulignant que l'offre du brut est « largement suffisante ». Hier, la Commission européenne a suggéré l'organisation d'un sommet mondial sur les marchés pétroliers entre les principaux pays producteurs et consommateurs. L'Europe s'affole. Première entrevue d'urgence : les pays consommateurs et producteurs se réuniront le 22 juin à Djeddah (Arabie Saoudite). C'est une entrevue qui aura lieu au niveau des chefs d'Etat et qui devra débattre exclusivement des causes de « l'envolée » des cours de pétrole. Toutefois, les USA, l'un des pays consommateurs les plus importants, disent que le président George W. Bush n'avait pas prévu de se rendre à cette réunion de Djeddah. C'est plutôt le secrétaire d'Etat américain à l'énergie, Samuel Bodman, qui participera à la réunion. L'Algérie, par le biais de son ministre de l'Energie et des Mines, ne s'est pas opposée au principe de l'organisation de cette réunion, mais a tenu à apporter une précision de taille. M. Khelil a déclaré qu'il ne « serait pas mauvais de discuter, pas seulement de la situation actuelle du marché pétrolier, mais aussi des prix et des coûts compte tenu du fait que si le prix du baril est en hausse, celui des équipements et des services a également triplé en deux ans ». Le président en exercice de l'Opep a précisé surtout qu'« il ne faudrait surtout pas négliger aussi la question centrale qui est celle de la spéculation », a encore précisé le ministre de l'Energie et des Mines. Les débats restent ainsi aujourd'hui encore focalisés sur la part réelle du marché dans la détermination des cours mondiaux du pétrole et celle de la spéculation comme nombre de pays producteurs s'en défendent. L'effet spéculation Il est quand même clair que les prévisions et les spéculations n'ont fait que jeter de l'huile sur le feu. Certains experts internationaux avancent qu'une part de 40% des prix actuels sont le fait de la spéculation. M. Khelil considère aussi que « le problème qui se pose est la crise économique aux Etats-Unis qui a conduit le dollar à baisser fortement », l'une des raisons essentielles de cette augmentation des cours du brut. Après Morgan Stanley, la banque Goldman Sachs, l'une des plus anciennes et prestigieuses banques d'investissement, a prévu un prix qui atteindra les 140 dollars le baril cet été et 200 dollars l'année prochaine. Le mois écoulé, des analystes de cette même banque, considérée comme l'un des spéculateurs les plus actifs dans le domaine pétrolier, avaient imputé, comme à l'accoutumée, cette hausse au déséquilibre de l'offre et la demande. Néanmoins, ces deux grandes banques d'affaires, en l'occurrence Goldman Sachs ou Morgan Stanley, ne sont pas uniquement observateurs du secteur pétrolier, mais surtout des joueurs du premier carré qui engrangent des millions à chaque fois que le baril franchit un nouveau record. Encore un autre indice de spéculation : l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qui défend les intérêts des pays industrialisés doit publier à la rentrée un rapport « des plus pessimistes » sur l'évaluation des 400 plus importants gisements mondiaux. Selon une récente note de l'AIE, son rapport évaluatif devrait situer les capacités de la production à un niveau très inférieur par rapport à la demande à moyen terme. Hier, le groupe pétrolier BP a annoncé que la production mondiale de pétrole a décliné de 0,2% en 2007, son premier repli depuis 2002, tandis que la consommation a progressé de 1,1%, en léger retrait par rapport à la croissance moyenne sur dix ans. Et voilà donc de quoi revivifier les angoisses. Cette inquiétude a remis au frigo tous les autres facteurs liés à la flambée des prix du pétrole à l'instar des taxes imposées par les pays européens sur la consommation énergétique. En Europe, à titre d'exemple, le prix vendu à la pompe contient plus de 75% de taxes. La Commission européenne a proposé hier de réduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les produits énergétiques pour les ménages. Des mesures qui pourraient, d'après cette institution, atténuer les conséquences de la hausse des prix mondiaux du pétrole. En attendant la réunion du 22 juin à Djeddah, le pétrole continue à faire la fortune des spéculateurs.