Très officiellement, il n'y a pas de changement de pouvoir à Cuba et encore moins de régime ou de système, mais cela n'empêche pas que l'homme en charge de l'intérim, en attendant que son avenir à la tête de l'Etat soit connu, en vienne à prendre des initiatives. C'est ainsi que Raul Castro, qui a jusque-là procédé par petites touches, vient de briser un dogme politique à Cuba, en décrétant la fin de l'« égalitarisme » salarial, afin de relancer la productivité, talon d'Achille de l'économie. Le gouvernement cubain vient en effet de supprimer le principe du plafond salarial, poursuivant ainsi les mesures d'assouplissement impulsées au compte-gouttes par le frère de Fidel Castro, depuis son accession officielle au pouvoir en février. « La tendance était que tout le monde recevait la même chose et cet égalitarisme n'est pas opportun », a expliqué le vice-ministre cubain du Travail, Carlos Mateu, dans un entretien publié mercredi dernier, par le quotidien Granma. Rejetant cette forme de « paternalisme », le ministre a assuré que cette nouvelle politique était « un outil pour obtenir de meilleurs résultats en terme de productivité ». « Le travailleur gagnera ce qu'il est capable de produire », a-t-il souligné. « S'il est dommageable de donner au travailleur moins de ce qui lui revient, il est aussi dommageable de lui donner ce qui ne lui revient pas », a encore averti M. Mateu. Le numéro 2 du gouvernement cubain, José Ramon Machado Venturo, est monté au créneau en clamant qu'il ne fallait « pas avoir peur des hauts salaires », s'ils correspondaient à des résultats concrets. Voilà donc Cuba face à un nouveau défi, celui des idées que leurs auteurs n'hésitent plus à exprimer et de la manière la plus officielle. Des propos iconoclastes pour un régime qui a toujours considéré la culture du profit comme un tabou, que même le numéro deux du gouvernement ne se prive pas d'exposer. « Il ne s'agit pas d'offrir de l'argent non plus », a-t-il toutefois tempéré, lors d'une intervention cette semaine devant l'Assemblée provinciale du Parti communiste cubain à La Havane. La faiblesse des rémunérations constitue l'un des principaux sujets de mécontentement à Cuba, où le salaire moyen avoisine les 408 pesos, soit 17 dollars, alors que les prix des aliments comme ceux des vêtements ne cessent de grimper. Les habitants, qui bénéficient d'un système de santé et de soins gratuits, se plaignent notamment de l'insuffisance des tickets de rationnement alimentaire délivrés par les autorités. Durant la crise des années 1990, consécutive à l'effondrement du bloc soviétique qui soutenait l'économie cubaine, la pyramide sociale s'est complètement inversée sur l'île : un maçon ou plombier gagnait davantage qu'un ingénieur ou un architecte. La nouvelle politique salariale s'inscrit dans le cadre des changements promis par le gouvernement sous la houlette de Raul Castro, qui a lancé un débat national dans le pays. Une réforme agricole a déjà été engagée pour augmenter la production, offrant aux paysans une meilleure rémunération et un accès plus libre à l'acquisition de machines, afin de faire face à la crise alimentaire mondiale. Même s'il n'a guère relâché sa fermeté à l'égard des dissidents politiques, le régime a aussi répondu à plusieurs revendications en autorisant les Cubains à acheter un téléphone portable ou un ordinateur, ainsi qu'à se loger dans les hôtels auparavant réservés aux touristes. C'est là où se situe justement cette révolution tranquille. Celle des petits pas, mais elle est de celles qui abattent un système supposé sclérosé ou tout simplement défaillant, près d'un demi-siècle après. C'est apparemment ce qu'a entrepris Raul Castro.