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Akila Mouhoubi. Peintre et responsable de l'association rivages
Je refuse les limites
Publié dans El Watan le 26 - 06 - 2008

A Marseille, elle poursuit sa production artistique et dirige une association d'art au cœur du vieux quartier Le Panier.
Votre association Rivages commence à pointer dans l'espace culturel marseillais. Comment cette expérience a-t-elle débuté ?
L'association a été créée en 2004 par deux artistes algériens, Mustapha Goudjil et moi-même, et par des amis qui nous ont soutenus dans ce projet. Il s'agissait de monter une association à caractère culturel orientée vers les arts plastiques contemporains et vers les échanges culturels entre les rives de la Méditerranée. En 2005, nous avons eu notre local dans Le Panier, le vieux quartier de Marseille. C'est à ce moment que l'activité a vraiment débuté : projets artistiques, cours de peinture et de dessin pour enfants et adultes… Pour l'inauguration de l'espace, nous avons monté une exposition de peinture des artistes de l'association. Puis, nous avons commencé à monter des projets. Le premier s'intitulait « Histoires d'image », une exposition d'artistes issus de cultures religieuses différentes ; en fait, des trois religions monothéistes. La table ronde qui l'accompagnait a porté sur l'histoire de l'image dans les trois religions monothéistes.
Vous développez en ce moment un projet d'échanges entre les quartiers historiques de Marseille et d'Alger, soit Le Panier et La Casbah…
Oui, six jeunes créateurs, trois Algériens et trois Marseillais, ont séjourné les uns et les autres des deux côtés de la mer et se sont rencontrés. A l'issue, ils ont mis en place un workshop sous forme d'échanges de messages, de textes et d'images entre eux. Et pendant près de 6 mois, il y a eu création artistique puis exposition. La deuxième partie a consisté à faire intervenir des femmes des deux quartiers par la photographie. On leur a distribué des appareils jetables en leur demandant de photographier leur vie intérieure, leur maison, ce qu'elles y trouvaient de beau ou de significatif. L'expo a réuni donc les travaux des jeunes artistes et le regard de ces femmes, d'où le titre de « Correspondances ». Elle a eu lieu dans une grande galerie d'art contemporain de Marseille, Red District, connue pour son niveau élevé avec des expos de Tony Grant par exemple. Le jour du vernissage, il y a eu en outre un moment musical avec un joueur de luth égyptien. Elle a duré jusqu'au 14 juin. Et durant la Fête du Panier, la semaine dernière, nous avons exposé les photos au siège de l'association avec des commentaires écrits par des femmes en cours d'alphabétisation. Le projet entre Le Panier et La Casbah continue. Cette fois-ci, ce seront des designers qui interviendront sur l'espace extérieur par des résidences croisées. L'intérêt, c'est qu'ils vont travailler ensemble.
Aujourd'hui, l'association est-elle reconnue dans les milieux associatifs et culturels de la ville ?
Au début, quand on n'est pas connu, c'est naturellement difficile. Pour le premier projet, nous avons eu beaucoup de difficultés. On ne nous connaissait pas. Je peux dire que ça va plutôt bien maintenant. Nous avons des partenaires dans la ville et le quartier. L'exposition a été visitée régulièrement avec des ateliers durant cette expo. On a eu entre 15 et 20 visiteurs par jour, ce qui est un très bon nombre pour une galerie, vu la concurrence et la nouveauté du lieu.
Marseille est réputée pour être la ville la plus « algérienne » de France. La culture algérienne vous paraît-elle aussi présente ?
On ne peut pas dire qu'il n'y a rien ; mais dire qu'elle est très présente, loin de là, ne serait-ce que par rapport à l'importance de la population émigrée algérienne et maghrébine ici, ou de gens d'origine algérienne… Je trouve que ça reste très limité.
Vous êtes mobilisée à temps plein par l'association. Que vous reste-t-il pour votre travail d'artiste ?
Nous avons des subventions limitées et il faut donc pallier par une présence permanente. Si nous avions plus de fonds, nous pourrions faire plus et, surtout, recruter des permanents. Rivages me prend tout mon temps. Je le fais avec beaucoup de plaisir car le travail autour de la création plastique m'intéresse ainsi que la formation, cela parce que j'étais quand même enseignante des beaux-arts et que je reste très liée à ce métier. Mais j'en pâtis pour mon travail personnel.
Quelles sont vos dernières apparitions d'artiste ?
Paradoxalement, quand je vivais en Algérie, j'exposais beaucoup plus en France, et depuis que je vis en France, on ne me sollicite pas, ce qui est quand même étrange. Je ne comprends pas. A partir d'Alger, j'ai exposé à Paris et d'autres villes. Maintenant, apparemment, c'est plus compliqué. Mon avant-dernière exposition a eu lieu à Alger à la galerie Arts en Liberté de Kouba, en février de cette année. Mais ma dernière participation a eu lieu en juin 2008, dans le cadre de la Biennale de Tunis organisée par Ecume de Tunis. Je peux dire que c'est une très bonne chose qu'il existe une biennale d'art visuel au Maghreb, et il en faudrait sans doute d'autres.
L'expo de la galerie Arts en Liberté était votre première expo personnelle en fait… -Oui, maintenant que vous me le dites, je m'en rends compte… Sinon, je n'avais participé qu'à des expositions collectives.
Vous apparaissez comme un peintre qui produit et reste concentré sur son travail...
Toujours. Je n'ai jamais cessé de produire et de chercher.
Mais en même temps, vous semblez peu soucieuse de votre promotion, comme par une sorte de pudeur…
Peut-être que je suis aussi exigeante. Je ne veux pas exposer dans des hôtels ou des halls d'institutions. Je tiens beaucoup au côté professionnel ; et là, ça devient effectivement plus compliqué. Cela limite les possibilités. A la limite, je préfère ne pas exposer que mal exposer ; ou pire, exposer pour exposer.
Votre peinture est surtout structurée par la couleur et non pas par le trait, le graphisme, la forme ou le signe...
Ce n'est pas très juste, car, en fait, je commence toujours par le trait, par beaucoup dessiner. Je recherche au début l'image. Dans mon travail, au moment où je crée, il y a toujours un processus d'apparition et de disparition. Une fois que le trait est apparu, je fais en sorte qu'il disparaisse et devienne comme un repère invisible. Je l'estompe de différentes façons, je le gratte, j'y ajoute du pigment, je le fais disparaître, je l'efface carrément et, parfois, je gratte sur la matière pour le faire un peu réapparaître. Ce jeu fait que les formes sont à la fois présentes et absentes.
Pourquoi ?
Franchement, je n'en sais rien. Je ne sais pas à quoi est dû ce besoin de faire apparaître et disparaître.
Aller vers l'intériorité, vers le soi ?
Possible, mais je ne saurai dire. Mais aller vers le soi, oui ; je fais tout pour cela. D'où aussi peut-être ma difficulté à exposer. Parce que quand on expose, on met le soi en vitrine si l'on peut dire. Quand je commence à travailler, une seule peinture ne me suffit pas. Ce ne sont pas des séries que je produis, mais un ensemble composé de plusieurs œuvres. Il faut voir le tout et pas une seule œuvre. Bien que l'on puisse regarder et apprécier bien sûr chacune. Mais pour moi, c'est une globalité.
Ce qui explique peut-être aussi le rejet des cadres et formats classiques ?
Cela a toujours été une de mes préoccupations. Mon support de prédilection c'est le papier, car je peux le découper, le monter, le coller, etc. Et la toile elle-même, je la travaille sans châssis. Je ne peux pas travailler avec. Le fait même qu'il y ait un cadre m'étouffe, je ne peux pas créer. Quand il n'y en a pas, je peux déborder ; même si par la suite, effectivement, je sais que ce sera encadré. Je refuse les limites.
L'estompage des traits et formes sur la toile est-il relié à cela ? Car le châssis est d'abord un trait, et en plus un trait limitatif...
Tout à fait.
Dans l'expression artistique algérienne actuelle, percevez-vous des tendances, des styles… ?
Je ne suis pas historienne de l'art. Mais je trouve que les questions posées par nos aînés, les pionniers ou un groupe comme Aouchem étaient des questions quand même intéressantes. C'est dommage qu'on n'ait plus aujourd'hui des questions de cet ordre dans la peinture. Il y a une espèce de mimétisme de l'art contemporain, surtout dans les médiums, les techniques ; mais, ce qu'on veut transmettre, pourquoi on le fait..., ces questions ne sont pas abordées. Il faut bien sûr s'adapter à son temps, aux nouvelles techniques, comme le multimédia…, mais ne pas sombrer dans l'imitation. Ces techniques ne doivent pas être là sans raison ni démarche. Dans l'art, les questionnements sont très importants. Il faut une pensée, une réflexion. Quand on prend l'art contemporain dit occidental, il y a des excès sans doute. Il y a toujours eu des effets de mode. Mais on peut remonter le fil des tendances qui ont mené à l'art d'aujourd'hui, le cheminement des formes et des techniques, mais aussi des idées. L'image s'est développée selon des étapes historiques, des visions du monde, etc. Même ceux qui créent avec les nouvelles technologies se réfèrent à leur histoire picturale ou mythologique ? Chez nous, on n'arrive pas à trouver ça. Il y a peut-être des artistes qui ont des démarches établies dans ce sens, mais ils ne sont pas assez connus dans cet aspect de recherche, démarche... Mais c'est surtout le travail des critiques et des historiens de l'art.
Quels projets personnels en vue ?
Eh bien, j'espère exposer à Alger, au Mama, et si possible une exposition personnelle.
Repères
Akila Mouhoubi est née à Béjaïa, le 7 décembre 1953. Elle a étudié à l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger jusqu'en 1976, avant de poursuivre sa formation à l'Ecole supérieure des beaux-arts de Luminy (Marseille), option art plastiques, jusqu'en 1985. Epouse du peintre Mostefa Goudjil, ils ont enseigné à l'Ecole des beaux-arts d'Alger avant de s'installer à Marseille à la fin des années quatre-vingt. Elle est responsable et coordinatrice de l'association Rivages.


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