Asseyez-vous, prenez vos aises. Akli Tadjer va nous raconter une histoire à plusieurs tiroirs. Ainsi donc, il était une fois ou peut-être pas. Reprenons dès le début. Le fils d'El Kseur est meilleur conteur. Laissons-lui donc la parole. Ou peut-être pas. Il était une fois, que mêmes les moins de vingt ans connaissent, trois personnes vivant à Paris et ailleurs. Car on n'habite jamais un seul endroit. Certains sont inaccessibles, réfugiés dans l'enfance ou l'imaginaire. L'ubiquité n'est pas un don, quelquelquefois une malédiction. Schizophrénie normale. A vrai dire, Akli Tadjer nous largue très vite, unique conteur à posséder les clés du temps. La grande histoire n'est qu'une addition de drames personnels. Une suite de péripéties qui a trouvé un scribe pour les fixer dans les mémoires. Pas la mémoire collective, les mémoires. Les ciseaux de la censure n'ont pas les moyens de tailler tous les buis. Il subsiste encore des zones laissées en friche, dédaignées par les tenants de l'histoire officielle. Il était donc une fois Mohamed, un quadragénaire, sa fille, Myriam, face à la violence d'une quête tronquée de son identité et Gaston, jeune amoureux transi. Pour notre grand bonheur, Mohamed (Akli, ne te cache pas derrière le personnage, on t'a reconnu) a un humour décalé, distant, so british. Parisien dans l'âme, ours solitaire, bourru et attachant. Ses atouts : un cœur gros comme ça et un don indécent pour la narration. Un conteur sorti tout droit des Mille et Une Nuits, ou peut-être pas. Myriam, Parisienne, découvre le voile et les amours. Gaston, l'amour. Une fois le décor posé, éteignez vos portables, l'histoire peut commencer. Comme tout homme qui voit sa fille s'émanciper, se préparer à vivre sa vie avec un autre mâle, Mohamed est pris au dépourvu. A la limite, son concurrent aurait été noir, jaune ou même un bronzé, il aurait fermé les yeux. « Mais un Gaston Leroux, blanc comme la cuvette des chiottes, franchement… » Jaloux, on vous dit. Pas possible d'être aussi possessif. Et comme rien n'est simple avec Akli Tadjer, on nage non seulement dans le complexe œdipien et dans la psychanalyse mais aussi dans l'histoire. Rien n'est simple. Alors on convoque les ancêtres, on les soumet à la question, on leur demande des comptes. Ils se moquent de nous, ils ont (mal) vécu leur vie, à nous de nous débrouiller avec la nôtre, les nôtres. Et c'est là qu'éclate le talent d'Akli Tadjer. Lumineux. Il n'y a pas de présent, juste une continuité. Un continuum qui se moque des modes. Myriam porte le voile et veut convertir son père. Elle envisage d'aller au Pakistan parfaire son éducation. Mohamed aurait-il failli, l'aurait-il mal élevée ? Et les aïeux laisseraient-ils faire ? Se montreraient-ils lâches devant la soumission de leur petite-fille ? Et Gaston se résigne-t-il ? Détail important : si Akli Tadjer est Algérien, il est aussi Français. Il somme les deux parties à réagir. On ne cohabite pas sans risque avec ses identités. Un livre (et y a pas de peut-être pas) à lire d'urgence. Et si vous voulez offrir un cadeau aux cousins du bled, inutile d'aller chez Tati. Courez à la première librairie et prenez avec vous plusieurs exemplaires. Vous feriez œuvre utile. Un cadeau intelligent et forcément, avec Akli, plaisant. Il était une fois peut-être pas, Akli Tadjer, éditions Lattès, juillet 2008