Très active au CICR, Antonnella Notari, porte-parole de l'organisation humanitaire, a vu durant toute sa vie les plus atroces des situations au Darfour, en Bosnie, en Irak, au Sri Lanka et au Congo. Dans cet entretien qu'elle nous a accordé à Beyrouth, elle insiste beaucoup sur la nécessité de prévenir les situations de conflit en mettant en relief leur coût en vies humaines. Est-ce à travers l'atelier organisé avec les journalistes arabes à Beyrouth consacré aux défis de l'action humanitaire que le CICR cherche une réponse à l'attentat qui l'a visé à Baghdad, en Irak ? Cet atelier a pour objectif d'expliquer et de mieux faire comprendre le rôle et l'action du CICR. Nous avons l'impression d'être mal compris et mal présenté. Ce qui nous pose un problème très concret pour agir. Plus que les évènements d'Aboughreib, ce qui nous a le plus choqués, c'est l'attaque qui a visé le siège du CICR à Baghdad en octobre de l'année dernière. Nous avions eu de grandes difficultés à comprendre qu'une organisation comme la nôtre peut être ciblée, alors qu'elle n'a jamais quitté l'Irak. Elle est restée sur place en dépit des différents conflits armés - externes, avec l'Iran et les deux guerres du Golfe ; internes, avec les Kurdes et les chiites. Pendant tout ce temps, nous pensions que nous étions reconnus et acceptés partout en Irak. Nous avions été frappés par cet acte violent qui aurait pu être plus coûteux en vies humaines. Nous nous sommes alors posés les questions suivantes : les gens comprennent-ils ce que nous voulons faire ? Notre travail a-t-il un sens et un impact sur le terrain ? Sommes-nous sur le bon chemin ? Y a-t-il des choses que nous pouvons apprendre avec des journalistes qui exercent dans des situations de conflit ? Pour nous, ce sont des questions importantes dont les réponses nous aideront à mieux appréhender la réalité vécue dans ces régions et notre rôle par rapport à ces situations. Je crois que des deux côtés, journalistes et CICR, nous avons beaucoup à apprendre dans ce domaine. Cela ne va pas changer fondamentalement la manière dont nous travaillons, mais cela peut nous aider à changer la façon dont nous engageons nos relations avec la presse. Pensez-vous que les journalistes peuvent prévenir des situations de conflit s'ils conjuguent leurs efforts aux vôtres ? Evidemment tout journaliste est libre de travailler sur un sujet qui lui semble important. En revanche, si un journaliste peut prévenir sur les coûts humains totalement inutiles et pas nécessaires des conflits armés, nous lui offrons notre entière collaboration. Notre objectif est d'éviter les attaques contre les civils, les privations, les abus et les déplacements massifs des populations civiles lors des conflits armés et de faire en sorte que les personnes détenues soient respectées, que les combattants une fois blessés ou hors de combat soient traités comme des êtres humains. Si les journalistes abordent ce genre de sujet, nous souhaiterons renforcer notre collaboration dans ce domaine. Je pense que les journalistes peuvent jouer un rôle important parce qu'ils ont les moyens de parler et d'écrire sur des situations de conflit du fait de leurs connaissances plus larges du contexte et de l'environnement et des lois qui règnent dans ces régions... Encore faut-il que ces journalistes soient libres pour le faire... L'absence de liberté peut poser des problèmes. Il y a des contextes et des situations où les journalistes n'ont pas la liberté de s'exprimer, sont menacés, tués, emprisonnés, torturés ou enlevés. Ce sont des situations que nous connaissons et auxquelles nous nous intéressons en tant qu'organisation humanitaire. C'est d'ailleurs l'une des dures réalités dans les conflits armés. Notre rôle n'est pas vraiment de militer pour la liberté d'expression, mais au même titre que pour les civils, nous faisons en sorte que les journalistes puissent bénéficier d'une protection. Comment ? Il s'agit des mêmes actions que nous offrons aux civils. S'il y a, par exemple, un journaliste qui est emprisonné ou qui disparaît, nous essayons de retrouver sa trace et lui rendre visite s'il est en prison. Parfois, il y a des choses plus concrètes que nous pouvons faire, comme informer les professionnels des médias des zones dangereuses que nous connaissons afin qu'ils puissent avoir une meilleure connaissance du contexte dans lequel ils peuvent se trouver. Souvent, comme pour les populations civiles qui sont dans les zones de conflit, les travailleurs humanitaires sont impuissants devant la violence qui peut se déchaîner contre les journalistes. Nous faisons en sorte que ceux qui commandent les forces armées ou les groupes rebelles armés soient conscients que les journalistes sont des personnes protégées qui ont le droit de faire leur travail sans être attaqués. Il faut dire qu'il y a beaucoup de travail à faire dans ce sens. Durant les travaux de cet atelier, de nombreux journalistes ont reproché au CICR de n'avoir pas dit la vérité sur Aboughreib, d'être arrivé un peu en retard au Darfour... Quel est votre avis ? Le reproche qui nous a été fait est de n'avoir rien dit publiquement. C'est une grande différence. Nous faisons état de ce que nous voyons, nous parlons surtout des violations, des abus que nous constatons dans les prisons et lors de nos visites dans presque 80 pays à travers le monde, à peu près 500 000 personnes par année et à toutes les personnes en relation avec des conflits. Il faut savoir que nous ne leur rendons pas visite une seule fois pour voir si elles vont bien, mais autant de fois que cela est possible. Nous voulons savoir si notre travail a un impact sur leurs conditions de détention, le respect de leur dignité et de leurs droits. Nous le faisons en agissant à l'intérieur du système, en dialoguant avec les autorités pénitentiaires. Si nos démarches, qui se déroulent dans un domaine confidentiel et bilatéral, ne donnent aucun fruit, alors nous dénonçons publiquement les abus. Maintenant, quand le public a connaissance des violations et des abus, y a-t-il une différence pour la situation des victimes ? Je crois qu'il faut plus que cela. Il faut plus qu'une connaissance publique des violations. Il faut une vraie volonté publique d'agir contre ces violations. Cela, nous ne pouvons l'obtenir que par une pression publique et médiatique, mais également par un travail de diplomatie très actif, très ferme et très présent. Au Darfour, certains pensent que nous sommes arrivés en retard. En fait, nous avions eu pas mal de problèmes de logistique eu égard à la situation assez complexe. Le grand avantage de la présence du CICR, c'est qu'il n'est pas présent uniquement dans les camps des personnes déplacées, mais dans toutes les contrées du Darfour, notamment parmi les personnes qui ont fait le choix de rester chez elles et qui méritent un minimum de sécurité. Nous essayons donc de concentrer nos efforts pour leur protection et assistance afin qu'elles ne soient pas obligées de se déplacer ou d'être agressées par l'une ou l'autre partie en conflit et qu'elles puissent vivre là où elles sont. Qu'en est-il de la situation aujourd'hui ? Je pense qu'elle s'est un peu calmée, mais il y a encore de temps en temps des attaques contre des civils, des violations, notamment contre les femmes, catégorie de la population la plus vulnérable. Celles-ci ont d'énormes besoins en matière d'assistance. Elles n'ont plus de puits pour faire paître leur bétail ou cultiver leurs terres. Elles ont perdu accès à leurs ressources vitales. Il y a un énorme besoin d'assistance. Si rien n'est fait, cette région du Darfour, encore pire qu'aujourd'hui, connaîtra un drame humanitaire. Pour le CICR, l'année prochaine sera la plus importante en matière d'action au Soudan, particulièrement au Darfour. Après une longue absence de près de huit années, le CICR est revenu en Algérie, il y a trois ans. Quelles sont vos relations avec les autorités ? Malheureusement je n'ai pas de détails sur cette question. Je ne suis pas au courant de ce qui se passe en Algérie. Néanmoins, je peux dire qu'il y a eu une amélioration dans nos contacts avec les autorités algériennes et nous sommes présents physiquement à Alger, à travers un bureau et un personnel. Nous faisons régulièrement des visites dans les prisons et les lieux de détention. Au-delà, je ne pourrai pas porter un jugement sur la question de savoir si nos activités ont un impact ou s'il y a une amélioration de la situation parce que je n'ai pas les détails de nos activités sur place.