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Journalistes et CICR : même cible
CONFLITS ARMÉS, CRISES HUMANITAIRES ET MÉDIAS EN DÉBAT À BEYROUTH
Publié dans El Watan le 13 - 12 - 2004

A quel moment peut-on parler de crise humanitaire ? Où s'arrête la neutralité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ? Comment renforcer les relations entre cette ONG et la presse pour mieux alerter sur les conséquences d'un conflit armé ?
Quelle est la meilleure protection pour un journaliste dans une zone de crise ? Ce sont là les questions autour desquelles un débat intéressant, mais souvent houleux, a été ouvert durant cette fin de semaine à Beyrouth, la capitale libanaise, entre des responsables du CICR et une trentaine de journalistes venus de quinze pays arabes. Sous le thème générique « Nouveaux défis de l'action humanitaire », les participants ont mis en exergue « la menace » qui pèse sur les activités humanitaires et l'exercice du métier de journaliste dans les situations de conflit armé, mais aussi le coût humain qu'elles engendrent. « Les deux sont en train de payer un lourd tribut parce que l'une tente d'alléger les souffrances des victimes et l'autre de dévoiler leur douleur », a déclaré Balthazar Staehelin, délégué général du CICR pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, à l'ouverture des travaux.
« Oui, nous savions »
Trois points importants ont marqué la première journée, à savoir la torture dans la prison d'Abou Ghraïb, le massacre de Falloudjah, en Irak, et le génocide du Darfour. Toutes les questions ont été axées sur le « silence » du CICR. « Oui nous savions, mais de par notre statut, nous ne pouvions rendre publique l'information afin surtout de préserver les victimes. Nous dialoguons avec ceux qui torturent et ceux qui tuent juste pour avoir accès à leurs victimes et essayer de changer ou d'améliorer leur sort. Si nous parlons, nous coupons tout espoir de les assister », a indiqué Yahia Alibi, du service communication du CICR à Genève. Selon lui, l'action humanitaire est aujourd'hui « frappée de suspicion » par les gouvernements et les parties en conflit « parce que les deux ne respectent pas les règles selon lesquelles les populations civiles doivent être épargnées. Ils appliquent le principe du ou vous êtes avec eux ou on vous considère comme leur ennemi et ils vous trouvent les plus grands défauts qui puissent exister avant de vous expulser... ». Journalistes et membres du CICR affirment que l'absence de sécurité détruit toute action humanitaire et activité médiatique. Le journaliste irakien Ahmed Abdelmadjid a très bien résumé la situation dans laquelle il exerce dans son pays : « Au nom de la lutte contre le terrorisme, l'Irak a été attaqué par les USA. Aujourd'hui, l'absence de sécurité a eu pour conséquences la destruction de 3170 écoles et des dizaines d'universités, le pillage des hôpitaux, des centres de santé et des laboratoires, le sabotage de nombreuses infrastructures économiques, 1,5 million de veuves vulnérables et affectées et 500 000 enfants handicapés. L'absence de sécurité a nourri le banditisme. Néanmoins, dans ce constat chaotique, il y a des images d'espoir, celles des enfants qui poursuivent leurs études, des médecins qui continuent à soigner les malades. Mais cette image est censurée par les médias... » La Palestine, une autre zone de conflit, a été le sujet de discussions très houleuses.
La confidentialité est un moyen de réussite
Un confrère de la radio palestinienne, Radouane Abou Ayache, a expliqué comment l'exercice du métier de journaliste se transforme en « un risque mortel sous un régime aussi répressif que celui d'Israël ». Après son long témoignage sur le comportement violent et raciste des militaires israéliens à l'égard des Palestiniens, Abou Ayache s'est demandé si le CICR peut déposer une plainte contre l'Etat d'Israël pour racisme. Alloula Bira Kidani, journaliste soudanais, s'est attaqué avec virulence aux régimes arabes et à la presse de leur pays, les accusant d'avoir « occulté » le génocide du Darfour et « parfois même justifié » ces crimes contre l'humanité. « Même le CICR est venu en retard, bien après que nos journaux eurent relaté les faits et que Amnesty et Human Rights Watch eurent dénoncé le génocide. » Les réponses du CICR ne se sont pas fait attendre. « Le CICR ne peut aller dans un pays sans l'accord de son gouvernement. Pour atteindre les victimes, nous devons passer par le bourreau pour l'obliger à épargner les personnes civiles non impliquées dans les conflits, mais aussi apporter aide et assistance à ces dernières. La confidentialité est très importante dans ces cas. Elle n'est pas un objectif, mais un moyen pour réussir notre mission », a déclaré Nada Doumani du CICR. Elle a ajouté qu'à propos de l'Irak, l'ONG a été « la première » à avoir qualifié la présence américaine dans ce pays d'« occupation telle que définie par les conventions internationales ». D'autres journalistes de Jordanie, de Syrie et de Tunisie se sont interrogés sur les motifs qui poussent la presse à ne pas faire état de la situation des prisonniers dans les pays arabes. « Nous écrivons les vérités qui sont ailleurs, à Abou Ghraïb et en Israël, mais pas celles qui existent dans nos pays respectifs.... », ont-ils souligné. Feriaz Rouandazi, journaliste du journal de l'union kurde, s'est lui aussi plaint de l'absence d'intérêt de la presse arabe à la région du Kurdistan, particulièrement à ce que les Kurdes de l'Irak ont vécu sous le régime de Saddam Hussein. Intervenant pour faire la comparaison entre la presse du Moyen-Orient et celle du Maghreb, le journaliste tunisien Kamel Benyounes, du journal Essabah, a estimé que les journalistes de l'Afrique du Nord se montrent plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes, mais se refusent de faire état de la situation des prisons dans leurs pays respectifs. Pour étayer ses propos, il a cité le cas de l'Algérie où « la dernière guerre a fait 100 000 morts et que celle qui l'a opposée au Maroc s'est terminée avec des prisonniers de guerre dont on ne connaît ni le nombre ni le sort. Les deux parties refusent d'en parler à ce jour ». Il a poursuivi son intervention en parlant de la presse algérienne à laquelle, d'un côté, il reconnaît le statut de la plus libre dans le monde arabe, mais d'un autre côté, il a fait remarquer que « les journaux les plus libres appartiennent à des généraux »...
Vérités et contrevérités
Il a qualifié le drame du peuple sahraoui de crise humanitaire, mais s'est étonné pourquoi les responsables du Polisario sont aidés par l'Algérie au point que leur ambassade se trouve à Didouche Mourad, à Alger. Mieux, il va jusqu'à dire que le président Bouteflika a lui-même déclaré lors du congrès de l'ONM que le « règne des généraux du Sahara est fini ». Des contrevérités qui ont fait réagir les deux journalistes algériens présents dans la salle. « La guerre est entre les Sahraouis et les Marocains et non pas entre le Maroc et l'Algérie. De plus, la question du Sahara est celle relative à une décolonisation. Ce qui explique les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, le dossier est en train d'être géré... », lui a répondu une consœur algérienne. Une journaliste jordanienne a, quant à elle, conclu en disant à l'intervenant qu'il est plus facile de parler de l'Algérie que de parler de la Tunisie. La deuxième journée des travaux a été axée sur les lois humanitaires internationales, mais aussi sur les moyens qui peuvent protéger les journalistes dans les conflits armés. Intervenant sur l'expérience d'Amnesty International (AI) dans le domaine des campagnes médiatiques, Ahmed Keroud a expliqué que l'ONG agit en faisant pression sur les gouvernements et les parties en conflit à travers les campagnes de presse. L'intervenant a longuement parlé du principe de neutralité qui régit son organisation. Un journaliste égyptien a exprimé son doute quant à cette neutralité. Il lui a exhibé un rapport de AI publié en mai 2004 sur la Palestine où figure une carte géographique d'Israël qui ne fait aucune mention de la Palestine occupée. Reprenant la parole, M. Balthazar a insisté sur le principe de confidentialité de son organisation et rappelé que lorsqu'il a rendu visite à Nelson Mandela, alors en prison, ce dernier lui a dit : « Ce qui est important pour nous, ce n'est pas le bien que vous nous faites, mais le mal que vous nous évitez. Cela explique assez bien le pourquoi du principe de la confidentialité. Oui nous savions tout sur Abou Ghraïb, mais nous n'avons pas mis de gants pour le dire aux autorités militaires américaines. Nous voulions garder le contact avec les victimes. Si nous avions parlé, nous n'aurions pas pu soigner les malades parmi les prisonniers... » Sur le problème de la sécurité des journalistes, tous les intervenants ont exprimé leurs « inquiétudes » quant au danger qui guette les journalistes dans les zones de conflit, citant comme exemples la Palestine et l'Irak. A aucun moment, les conférenciers ne citeront le cas de l'Algérie où plus de 120 professionnels des médias ont été assassinés, dont 70 journalistes, en l'espace de quatre ans. « Nous avons l'impression que les confrères arabes découvrent les assassinats de journalistes en Irak et en Palestine. Ils n'ont pas tiré les leçons de ce qui s'est passé en Algérie. Il n'est pas question ici de faire le décompte de nos morts, mais de trouver les moyens d'assurer une meilleure sécurité pour les journalistes dans les zones en conflit, mais également dans les pays où il n'y pas de liberté... », a déclaré une journaliste algérienne. Pour la porte-parole du CICR, de par son métier, le journaliste est « une personne civile protégée par les lois et ne doit en aucun cas être ciblé ». Elle a précisé que son organisation s'occupe aussi des journalistes menacés et exerçant dans les régions à risque. « Il est aussi important que les responsables des entreprises de presse soient conscients de ces dangers et qu'ils n'envoient pas sur le terrain des journalistes non expérimentés et sans assurance vie. Il est important de ne pas se rapprocher trop d'une zone militaire ou occupée par des parties armées... » Des conseils, a-t-elle dit, qui peuvent sauver, mais qui souvent ne sont pas pris au sérieux par les journalistes. Les participants de Jordanie, Iran, Bahreïn, Tunisie, Algérie, Soudan, Syrie, Irak, Ghaza, El Qods, Qatar, Koweït, Liban, Egypte, Arabie Saoudite se sont entendus pour mettre la lumière sur les zones de conflit, mais aussi sur leurs conséquences sur les populations civiles, notamment les femmes et les enfants.


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