Une première dans les annales juridiques de l'Algérie : on juge des personnes accusées d'avoir une responsabilité dans les dégâts provoqués par une catastrophe naturelle. Que pense le juriste que vous êtes de l'esprit et de la forme de cette action ? Mon opinion est suffisamment connue sur la judiciarisation de la vie publique. C'est l'occasion de répéter ici qu'on ne fait pas avancer une société par des condamnations qui relèvent plus de la catharsis que du droit. Je constate que dans cette affaire de tremblement de terre, les poursuites constituent une véritable première non seulement par rapport à l'Algérie qui a connu d'autres catastrophes naturelles (je pense aux inondations de Bab El Oued) sans aucun procès, mais aussi dans le reste du monde. Par exemple, suite au dernier séisme qui a ravagé la Chine, les tribunaux chinois ont été saisis de ce dossier. Dans cette affaire, il y a concours entre une réalité qui est la puissance du séisme et des hypothèses que sont les malformations dans les constructions qui ont subi des dégâts avec cette précision que les experts ministériels et judiciaires s'accordent sur un point : la cause principale des dégâts réside dans la puissance du séisme. C'est l'occasion de rappeler ici que les autorités portent la première responsabilité puisque la wilaya de Boumerdès était classée en zone 2 avant de passer en zone 3 après le 21 mai 2003, alors que nous savions depuis la fin des années 1990 que le classement était erroné. Enfin, je ne peux pas ne pas relever que dans ce dossier, le meilleur expert de l'affaire est le juge d'instruction, lequel a rendu deux ordonnances de non-lieu total admirablement motivées et qui font honneur à la justice de ce pays. La question reste posée de savoir pourquoi ces deux ordonnances ont été annulées pour ouvrir la voie à ce procès. En première instance, les peines étaient sévères selon la défense et pourtant « le juge n'a fait qu'appliquer la loi ». Qu'en pensez-vous ? Quand je ne suis pas content d'une décision, j'utilise les voies que m'offre la procédure. Je témoigne que lors du premier procès, les débats s'étaient déroulés dans d'excellentes conditions, avec un respect scrupuleux des droits de la défense. Il en est résulté un jugement qui a agréé aux uns et déplu aux autres. C'est le jeu normal du fonctionnement de la justice. Loin de moi l'idée de critiquer les juges, qui ne font que statuer sur les dossiers qu'on leur confie et qui ont l'obligation de statuer. Est-ce qu'il n'y a pas de risque que ce procès fasse tache d'huile et en entraîne d'autres ? Peut-être même au sujet des catastrophes naturelles passées ? Ce n'est pas cet aspect qui, pour moi, doit retenir l'attention. Encore une fois, il participe de la judiciarisation de la vie publique voulue par les pouvoirs publics. Mais on peut considérer qu'un procès de cette nature peut avoir valeur pédagogique en ce sens qu'il met l'accent sur la nécessité d'observer scrupuleusement les règles parasismiques qui doivent présider aux constructions. Bien sûr, une autre démarche est possible par la sensibilisation des différents acteurs du monde de la construction, sans qu'on soit obligés de passer par la justice.