Sfindja (1844-1908), en maître incontesté de la C'anaâ, donnait ses récitals dans La Casbah, dans le fahs algérois ou encore à Blida. Son style, à considérer le peu qu'il en reste à travers les enregistrements du début du XXe siècle, s'apparentait à la manière de psalmodier le Coran ou d'appeler à la prière, selon la tradition maghrébine. C'est qu'il y avait une relation étroite entre la psalmodie du Coran et le chant tout court. Les Azharites rompus à ce grand art n'échappaient pas à cette règle. L'illustre Mustapha Ismaïl se plaisait à dire qu'il récitait tel passage du Coran, sur le mode bayati ou encore sur celui de saba ou de sika. Mahieddine Bachtarzi, n'était-il pas hezzab au début du XXe siècle avant de devenir le chantre de la musique andalouse ? Le peintre, Auguste Renoir (1841-1919), ballotté entre impressionnisme en tant que tel et recherche frénétique de tout ce qui est flambant neuf en matière de peinture, n'arrivait pas à supporter la blancheur éclatante du soleil d'Alger. Il disait après un deuxième séjour : « Tout est blanc, les burnous, les murs, les minarets, la route ! »L'écrivain, Guy de Maupassant (1850-1893), l'âme en déroute, errait tristement dans les environs de la mosquée de Sidi Abderrahmane. Il espérait ainsi recueillir les éléments d'une nouvelle écriture qui le libérerait, apparemment, de l'emprise de son Horla. Quatre chapitres musicaux C'est dans ce cadre, mi-fantaisiste mi-sérieux, que le monde sonore du compositeur Camille Saint-Saëns (1835-1921) vient s'insérer. D'aucuns disent qu'il était là pour replâtrer une santé quelque peu délicate, alors que d'autres se contentent de dire qu'il cherchait, tout simplement, de nouvelles voies pour la création musicale. Peu importe ! L'Algérie, pour ne se limiter qu'au monde de l'art et de la pensée, était en ce temps-là, l'apanage de quelques peintres et écrivains éblouis par un Orient mythique ou réel et de quelques chroniqueurs de l'occupation colonialiste. Pourquoi ne s'offrirait-elle donc pas l'occasion de laisser le champ libre devant des compositeurs ? On l'a vu, la gamme devint plus variée encore avec l'arrivée des cinéastes au tout début du XXe siècle. De la part de Saint-Saëns, nous avons donc droit à une composition d'allure symphonique intitulée : « Suite algérienne ». Ce sont quatre chapitres musicaux où l'auteur tente de pasticher, pour ainsi dire, une certaine réalité vivace et prenante. Dans le « Prélude », Saint-Saëns, sous le charme de la baie d'Alger qui s'offre à son regard au moment de l'accostage, réalise une véritable prouesse sonore : sirène de bateau, cercles aquatiques à l'entrée du môle principal, affairement des voyageurs, des bagagistes et des débardeurs, appel à la prière et premières couleurs locales véhiculées par quelques lignes mélodiques, puis, c'est le silence long en guise de plongée dans le charme de la découverte. Dans le deuxième mouvement, « Rhapsodie mauresque », c'est une virée inévitable, dans le cœur de La Casbah où Saint-Saëns tente de mettre les acquis sonores algériens récoltés sur place au service d'une expression nouvelle. Certes, Saint Saëns brode là, une mélodie exquise, mais ne fait intervenir aucun élément local : ni rebab, ni flûte, ni tambourin. Pourtant, il nous met l'eau à la bouche dès la note mise en exergue de cette composition. En d'autres termes, il ne tient pas sa promesse. La ville de Blida prend, ensuite, le relais dans Rêverie du soir. Notre compositeur pense avoir transcrit l'atmosphère idyllique et parfumé de cette charmante localité somnolant au pied de l'Atlas tellien. C'est également un morceau de toute beauté qui nous est offert, même si certains détracteurs trouvent la musique de Saint-Saëns un peu monotone, c'est-à-dire manquant de souplesse, et très à cheval sur ce qui concerne l'écriture contrapuntique d'une manière générale. Une musique typiquement algérienne L'oreille de l'Algérien y trouve-t-elle son compte pour autant ? Lui, l'habitué à la musique modale, s'y reconnaît-il ? Saint-Saëns, lui-même, écrit en guise d'introduction qu'il est question de traduire une sensibilité musicale typiquement algérienne. Dans la quatrième partie, Saint-Saëns s'évertue à nous gratifier d'une marche militaire. Il aurait pu faire l'économie de cette dernière, qui, en dépit de son rythme binaire assez souple et de son caractère bien dansant, semble ne pas cadrer avec l'ensemble de cette composition. Du reste, quel est le pourquoi de cette partie sinon celui de montrer qu'on est dans un pays bien conquis ? Contrairement à ces compositions fastueuses et éclatantes que sont : Dans les steppes de l'Asie centrale d'Alexandre Borodine, Capriccio espagnol de Rimsky-Korsakov, Carmen de Georges Bizet et autres, où la source d'inspiration transparaît dès les premières lignes mélodiques, parfois même, dans les fioritures, les cymbales ou les cuivres, l'empreint local n'est pas perceptible dans la Suite algérienne de Saint-Saëns. En bref, l'on ne discerne pas cette espèce d'intertextualité musicale qui laisse l'auditeur, à la fois, interrogateur et émerveillé. Où sont donc les acquis sonores algérois récoltés sur place qu'il aurait voulu mettre au service d'une expression nouvelle ? C'est une composition qui ne semble pas différer grandement de ses autres pièces pour piano et orgue. Elle n'est pas loin de « danse macabre » ou de « carnaval des animaux ». Mettons-le donc sur le compte du bonheur de l'instant, celui de donner naissance à de nouvelles sensations tout court.