Evoquant les souvenirs du Vieil-Alger, Mahieddine Bachtarzi citait toujours l'exemple de la grave crise vécue au XVIIe siècle par la musique classique algérienne. Un voyage initiatique nous en a même été proposé, mettant notamment l'accent sur le rôle joué par la mosquée dans la sauvegarde et la propagation de la musique classique algéroise. Constatant que celle-ci perdait de plus en plus de chanteurs musulmans très au fait du répertoire et que la plus grande partie du patrimoine pourrait se retrouver entre les mains des chanteurs israélites, de nombreux mélomanes algérois s'empressèrent de lancer un véritable cri d'alarme. Devant cette véritable menace qui planait sur une musique lui tenant le plus à cœur, le muphti hanafite de l'époque, rapporte la même source, convia tous les moudjaouidine (lecteurs du Coran) à une réunion. Ils étaient une centaine, possédant de puissantes et jolies voix, connaissant en général tous les modes de notre musique et n'avaient nullement besoin d'un instrument pour distinguer un aâraq d'un zidane, un moual d'un djarka ou un sika d'un raml-maïa tant ils bénéficiaient tous d'une étonnante et solide culture musicale. Dans le but de trouver un moyen qui consolidât la musique et lui assurât une large diffusion, nous apprend la même source, le muphti suggéra à son assistance d'adapter le plus souvent possible les airs des noubas aux paroles des cantiques qu'ils psalmodiaient dans les mosquées. La même source rapporte que comme ils s'étaient déjà occupés des qassidate de l'imam Ali, Cheikh Al-Bossari, Abd El-Hay El-Halabi, Ibnou Murcia, Oum Hani El-Bikri, Mohammed Salah Ibn El-Khatib, Sidi Boumédiène ech-Chouaïb, Sidi Abderrahmane Al-Thaâlibi et Chems Eddine Ibn Djabir, dont la qassida Fi Koulli fatihatine lil qaouli mouaâtabara fut l'une des premières à être chantée à la mosquée Sidi-Abderrahmane Al-Thaâlibi à l'occasion du Mawlid Ennabaoui, les moudjaouidine ne savaient plus quelle qassida adapter. À l'initiative des cheikhs Sidi Ammar, Sidi Ben Ali, Menguellati et de Mohamed Ben Chahed, tous muphtis d'Alger, ainsi que des cheikhs El-Mazouni, El-Aroussi, Ben Merzoug et de bien d'autres, les moudjaouidine, appelés par la suite qessadine, allaient être en possession d'un inestimable répertoire de mouloudiate composés essentiellement par des poètes algériens, presque tous musicologues ou musiciens. Des relations étroites existaient, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, entre les qessadine et les milieux artistiques de la capitale représentés par Mohammed Sfindja. Le grand chantre de la musique classique algéroise se joignait souvent aux moudjaouidine, notamment à l'occasion de manifestations religieuses, pour leur apporter le concours de sa voix. Une voix que Mahieddine Bachtarzi eut le privilège de redécouvrir au mausolée de Sidi Ouali Dada, après l'avoir écoutée, pour la première fois à l'âge de 12 ans, lors d'une soirée familiale à Djenane Bensemane près de Tixeraïne, dans le fahs d'Alger, non loin du parc d'attractions. Selon des témoignages recueillis auprès du muphti et Bach-qessad hanafite d'Alger, Sidi Mohammed Boukandoura, de Mouzino, Laho Serro, Saïdi et Edmond Yafil, souligne Mahieddine Bachtarzi, le grand maître ne se faisait entendre que trente fois par an, en règle générale en été, notamment à l'occasion de fêtes familiales. Heureusement que les cafés Bouchaâchoue, Laâraïyèche, El-Boza et particulièrement qahouet Malakoff lui donnaient toute latitude d'exercer son talent, notamment en présence de Cheikh Mohammed Abdou, à l'occasion de sa visite à Alger, le 3 juillet 1903. Le grand penseur musulman et non moins recteur de l'université d'Al-Azhar a été particulièrement émerveillé.