Le procureur général a exigé des peines sévères à l'encontre de 27 parmi les 38 accusés poursuivis pour « homicide involontaire, blessures involontaires, fraude sur la qualité et la quantité des matériaux de construction et non-respect de la réglementation » dans la réalisation de projets de construction. M. Sahraoui, qui ne s'est pas trop étalé, se limitant aux dossiers relatifs aux victimes, a en fait requis les peines maximales prévues par les articles 288, 289, 442 et 429 du code pénal et l'article 77 du code de l'urbanisme. En effet, il a requis la condamnation pour 16 accusés à des peines de 3 ans de prison ferme assorties d'une amende de 20 000 DA. Parmi eux, les techniciens du CTC qui avaient assuré le suivi des travaux ainsi que des entrepreneurs et des responsables des bureaux d'études. Le procureur général a en outre requis 2 ans de prison ferme et 20 000 DA d'amende à l'encontre de 9 autres accusés, tous des responsables de bureaux d'études, des techniciens du CTC et des entrepreneurs. Comme il a requis des peines de 2 années d'emprisonnement ferme assorties de 10 000 DA d'amende à l'encontre du couple représentant le bureau d'études ayant conçu et suivi le projet Derriche. Le procureur général a annoncé l'abandon des poursuites à l'encontre d'un entrepreneur décédé dernièrement. M. Sahraoui a demandé « l'application de la loi » à l'encontre des maîtres d'ouvrage dont le PDG de l'EPLF, Selkim Mohamed, l'ex-DG de l'OPGI, Heni Adda Kamel, le directeur de la filiale immobilière de la SNTF, Ziadi Mouldi, les responsables des bureaux d'études, Aït Sidhoum Abdelhamid et Amamai Ahmed, en plus des entrepreneurs Bousalah Rabah et Chibi Boussad et le promoteur privé Derriche Hacène. Ce qui, nous explique maître Brahimi, est une « demande de relaxe ». En première instance par contre, le représentant du ministère public avait requis des peines de 3 ans de prison ferme assorties de 100 000 DA d'amende à l'encontre des maîtres d'ouvrage. Mais le juge les avait toutefois acquittés.Dans son réquisitoire, le procureur général a souligné que l'« on n'est pas en train de juger le séisme, mais plutôt de mettre la lumière sur les erreurs humaines, volontaires ou involontaires, qui ont aggravé les dégâts provoqués par la charge sismique ». Il a ensuite énuméré « les multiples anomalies relevées par les expertises gouvernementales et judiciaires à différents niveaux de l'acte de bâtir ». Premier avocat à intervenir, maître Miloud Brahimi a tenu à saluer le bon déroulement du procès, sereinement conduit par le juge Omar Nouicer, et à remercier le procureur général L. Sahraoui qui a fait montre de respect total envers toutes les parties et de maîtrise parfaite du dossier. L'avocat a souhaité que « la justice saisisse cette occasion pour avancer ». « C'est l'Etat qui est à l'origine de cette action, mais nous constatons qu'il n'est pas représenté à ce procès. C'est malheureusement vous qui représentez le ministère de l'Habitat qui a déposé plainte au lieu d'être le représentant de la société civile. Dans ce cas, c'est nous, la défense, qui représentons cette dernière », a-t-il lancé à l'adresse du procureur général. Maître Brahimi a dit regretter que « le procureur général, en rappelant la procédure, n'a pas parlé des 2 ordonnances de non-lieu prononcées par le premier juge d'instruction chargé du dossier ». Il a attiré l'attention de la justice sur l'« overdose » si l'on devait parler de la portée pédagogique du procès du séisme de Boumerdès. Car « de la judiciarisation exacerbée de la vie publique à l'instrumentalisation de la justice, il n'y a qu'un pas à franchir. Il faut faire attention. N'écoutez pas les sirènes, monsieur le juge, dites simplement le droit » a-t-il déclaré. Pour défendre ses mandants, Me Brahimi a rappelé qu'« au lendemain des inondations de Bab El Oued, le président de la République avait déclaré à la Télévision nationale que l'on ne pouvait rien face à la puissance divine ». « A Boumerdès, c'était la puissance divine, et tous les experts dignes de ce nom n'ont eu de cesse de l'écrire et de le rappeler ici même devant vous. La preuve que ces accusés n'ont aucune responsabilité dans ce qui s'est produit ? Ils sont tous maintenus dans leurs postes de travail, voire promus pour certains », ajoute-t-il. Il cite des passages entiers des expertises réalisées par les scientifiques qui soulignent qu'« il est très difficile d'imputer la cause de l'effondrement d'une bâtisse à un facteur donné d'une manière tranchée ». Il est de ce fait « impossible d'établir la responsabilité directe », dit-il. Me Brahimi trouve plutôt des « anomalies » dans la lettre de mission du ministère de l'Habitat adressée aux membres de la commission envoyée à Boumerdès dans laquelle il est écrit qu'ils étaient dépêchés sur les lieux « dans le cadre d'une plainte à venir ». Ce qui était orienté et cela était dicté par les manifestations qui commençaient dans la wilaya de Boumerdès. « L'action en justice était destinée à calmer l'opinion publique. A Alger, comme il n'y avait pas d'agitation, on a simplement admis le non-lieu. Et quand l'Etat veut faire oublier ses propres responsabilités, c'est trop facile de sacrifier des boucs émissaires », a conclu le doyen des avocats présents au procès du séisme de Boumerdès. Ses confrères qui lui ont succédé ont battu en brèche les arguments retenus par l'accusation pour rejeter carrément les griefs retenus contre les accusés. Comme en première instance, ce sont les techniciens du CTC, les responsables des bureaux d'études et les entrepreneurs qui risquent d'être condamnés. Les scientifiques et les avocats ont, tout au long de ces 8 jours d'audience, et tout au long du procès en première instance, démontré que « les anomalies constatées dans la construction n'étaient pas la cause directe de l'effondrement des bâtisses ». Les spécialistes incriminent par contre la carte sismique et le règlement parasismique qui n'étaient pas (et qui ne sont toujours pas) de nature à préserver les constructions. Les études de sol, lorsqu'elles étaient faites, étaient complètement inadéquates, a-t-on soutenu. Faut-il alors raser toutes les constructions réalisées selon le règlement parasismique d'avant 2003 maintenant que nous sommes conscients que tout ce qui a été construit selon les normes anciennes est réellement menacé en cas de séisme violent ? L'Etat est interpellé. Après les plaidoiries, dont la fin est prévue pour aujourd'hui, il est attendu que l'affaire soit mise en délibéré avant que le verdict ne soit rendu. En première instance, l'année dernière, les délibérations avaient duré une semaine.