KUALA LUMPUR - Apôtre de la tolérance ou fauteur de troubles? Un jeune mufti crée la controverse en Malaisie en défendant un islam ouvert face à un clergé "conservateur" qui prône l'"islamisation" de la société. Mariant le costume et la calotte musulmane, Asri Zainul Abidin est devenu à 39 ans le visage d'une religion moderne et modérée aux yeux d'un nombre croissant de jeunes musulmans malaisiens. Mais ce théologien risque aujourd'hui deux ans de prison s'il est reconnu coupable par un tribunal islamique d'avoir enfreint la charia en prononçant un sermon sur la religion sans autorisation en novembre dernier. "Les conservateurs et les progressistes s'affrontent au sein de l'islam en Malaisie", affirme M. Asri. "Nous plongerons dans les ténèbres si nous permettons aux conservateurs de l'emporter", prévient-il. Le mufti affirme être poursuivi en justice parce qu'il s'est ouvertement opposé à l'establishment religieux, qui approuve désormais le recours aux châtiments corporels, comme la flagellation, pour punir les "crimes religieux". Des tribunaux de la charia, autorisés à opérer parallèlement à la justice civile et laïque, ont récemment condamné à des coups de bâton trois femmes accusées de relations extraconjugales. Ils avaient également provoqué une forte polémique en réservant le même sort à une mère de famille coupable d'avoir bu une bière dans un hôtel, finalement condamnée à une peine d'intérêt national. "Ils ne font que punir, punir et punir. La punition n'est pas la finalité de la religion. Nous devons avant tout éduquer les gens", affirme M. Asri. En durcissant leur discours, les conservateurs cherchent à renforcer leur base, estime l'ancien mufti de l'Etat de Perlis, à la frontière thaïlandaise, qui est devenu professeur d'université en 2008. "Ils peuvent remporter la bataille mais, à l'âge d'Internet, ils ne peuvent conquérir les coeurs des jeunes musulmans qui réclament des réponses s'appuyant sur la raison", selon lui. Pour ses partisans, comme l'expert politique Chandra Muzaffar, M. Asri "défend l'essence de la religion" dans un pays où la majorité des musulmans sont modérés mais n'osent pas affronter les partisans d'un islam stricte, "qui détiennent actuellement le pouvoir". La Malaisie a besoin d'un islam fort, affirme, en réponse, l'un des chefs de file des conservateurs, Harussani Zakaria. "Le pays et le monde seraient bien plus sûrs si nous avions des lois musulmanes. Lorsque je vais en Arabie Saoudite, je me sens en sécurité", explique le mufti de l'Etat du Perak (nord). Pour lui, Asri est un "personnage étrange" et "arrogant". S'il continue à promouvoir ses idées, "les musulmans vont se diviser" et "la Malaisie ressemblera au Pakistan, avec ses bombes", prévient-il. L'islam est la religion de la fédération malaisienne, dont plus de 60% des 28 millions d'habitants sont musulmans sunnites, près de 20% bouddhistes et 10% chrétiens. Les relations entre chrétiens et musulmans se sont tendues fin 2009 à cause d'une vive polémique sur l'utilisation du mot arabe "Allah" pour désigner "Dieu" par un journal catholique.