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« Si la fraude est bannie, le peuple ira aux urnes »
Abdelmadjid Menasra à Horizons
Publié dans Horizons le 17 - 03 - 2012

Qu'apporte votre parti de nouveau par rapport au MSP que vous avez quitté ?
Notre mot d'ordre principal c'est le changement. Un concept s'appuyant sur les aspirations du peuple, parfaitement apte à réussir ce défi de l'heure. Le changement ne s'opère que par les urnes et des élections libres et transparentes et ce en contestation d'une réalité peu reluisante, en ayant en point de mire l'ambition de faire partir l'actuelle majorité au pouvoir, pour la remplacer par une nouvelle qui soit à la hauteur des attentes citoyennes. Tel est l'esprit même de notre programme politique.
Si toutefois ce changement prend forme, à l'issue des élections législatives du 10 mai, on entamera par la suite des réformes constitutionnelles, tout en prônant aussi la nécessité de mettre en place une deuxième République qui se basera sur un régime parlementaire, consacrant la souveraineté populaire et l'indépendance des pouvoirs.
Dans notre démarche, la priorité sera donnée à l'investissement privé qui va se substituer à l'investissement public pour lequel des sommes faramineuses ont été déboursées sans résultats durables. Le but étant de diminuer le taux du chômage. Ce sont les jeunes qui sont les premiers concernés par le changement. Un nouveau parti n'est pas obligé d'avoir une vision totalement nouvelle. L'enjeu est d'avoir la capacité de transformer les projets en réalité concrète, tout en restant toujours intègre et honnête. Ceci est possible si les priorités sont bien classées et respectées. Toute la différence réside dans les actes et la manière de procéder au changement. Un nouveau parti n'est pas forcément contraint d'avoir un nouveau programme politique. Ceci n'existe dans aucun pays. Les idées ne sont l'apanage d'aucune formation politique.
Les islamistes souhaitent peser de tout leur poids pour changer la prochaine constitution. Quelle est votre vision par rapport à cette question ?
Il faut que la constitution fasse l'objet de profondes réformes et non pas uniquement d'amendements, surtout en ce qui concerne le système politique. Il faut ouvrir un large débat autour du système politique qui convient à l'Algérie. Nous veillerons à ce que la prochaine constitution soit consensuelle.
Vous dites que vous vous inscrivez dans la ligne du défunt Mahfoud Nahnah. Est-ce à dire que votre ancien parti y a dérogé ?
Oui, au MSP il y a eu une déviation de la ligne de Nahnah. Ce qui constitue l'une des principales raisons qui nous a poussés à quitter le Mouvement de la société pour la paix. Le Front du Changement a adopté pour référence le patrimoine et la politique centriste du défunt Nahnah. Si le MSP se revendique aussi de cette doctrine, il n'a qu'à le prouver sur le terrain. Le MSP, pour nous, n'est autre qu'un passé qui ne nous intéresse plus.
De nombreux modèles d'Etats islamiques existent, à travers le monde. On remarque souvent que l'image de l'Islam est davantage entachée. Quel est le modèle qui conviendra à l'Algérie et faudra-t-il légiférer pour éviter à l'Islam d'autres atteintes ?
La Constitution consacre dans son article deux l'Islam comme religion d'Etat. Alors pourquoi importer une autre conception politique de l'Islam ? Chaque Etat a ses particularités. On ne peut appliquer le modèle turc ou iranien à l'Algérie. A l'heure actuelle, nous avons plus besoin de mettre en application le modèle algérien, que d'aller fouiner dans d'autres qui sont incompatibles avec la réalité historique et politique du pays.
Certaines personnes comprennent mal les fondements de l'Islam. Les islamistes ont droit à l'erreur, mais cela ne signifie pas qu'il faut mettre l'Islam au musée. L'Islam n'a jamais entaché quoi que ce soit. Ce sont les expériences qui sont passibles d'égarement et d'erreurs et l'Islam est au-dessus de toutes ces considérations politiciennes. L'Islam est une religion qu'on ne peut circonscrire ou éloigner de la vie politique ou économique. Le sous-développement a-t-il empêché les gens d'adopter cette religion ? Ces allégations qui ont, soi-disant, pour but de protéger l'Islam, ont des visées plus graves : celles de nuire à cette religion et l'éloigner de la vie des peuples.
L'islam dérange et il dérangera encore tant que des voix s'élèveront pour dénoncer la domination de la force et de la dictature. Un Etat où se propagent la corruption et la délinquance sous toutes ses formes entache encore plus l'image de l'Islam qui ne tolère pas ce genre de pratiques. Le mieux serait de ne pas lier les expériences à l'Islam. Les erreurs sont l'œuvre des humains qui n'ont pas appliqué convenablement cette religion.
Pourquoi avoir refusé d'adhérer à l'alliance verte, alors qu'au tout début vous étiez l'un des initiateurs de ce projet ?
Effectivement. On a été les premiers à lancer cette initiative, mais nous avons plaidé pour l'alliance de tous les islamistes. En cours de route, d'autres sont intervenus et ont transformé notre idée en un pôle de partis politiques. Ce qui ne nous intéresse guère. Certes, ils ont parfaitement le droit de s'unir, mais nous, nous nous sommes démarqués totalement de cette démarche qui ne répond pas à nos ambitions.
Les islamistes sont-ils sûrs de leur victoire.
Si des élections libres et transparentes s'offrent aux Algériens, ils voteront sans le moindre doute les islamistes. L'Algérien aura cette fois-ci l'embarras du choix, avec l'avènement d'une multitude de formations politiques. Nous sommes convaincus que les nouveaux partis ont le plus de chance de faire la différence et de constituer la nouvelle majorité parlementaire. Nous allons engager la course électorale avec une seule liste, celle du Front du Changement.
Nous sommes prêts à nouer des alliances que ce soit avec des islamistes, des démocrates ou des nationalistes en vue de protéger au mieux la démocratie et les voix des électeurs et aussi pour barrer la route aux fraudeurs. Après les législatives, nous serons également ouverts à d'autres alliances et ce, à la lumière des résultats de ces joutes électorales. Les alliances se feront sur la base des programmes et non en fonction du nombre de postes ou de sièges.
Le FC a-t-il bien réglé sa machine électorale. Où en sont les préparatifs ?
Malheureusement, nous n'avons pas suffisamment de temps pour bien nous préparer. L'administration, sous l'emprise des partis de l'alliance présidentielle, a souhaité retarder l'attribution des agréments aux nouveaux partis politiques ce qui confirme une certaine crainte à l'égard des nouveaux venus sur la scène politique.
Nous avons eu notre agrément le 26 février dernier et 70 jours nous séparent des législatives. C'est un intervalle insuffisant pour bien se mettre dans le bain électoral, mais on promet de redoubler d'efforts, en s'appuyant sur la conscience citoyenne qui va assurément tenir compte de cet important détail. Nous avons achevé l'étape de l'élection des structures de wilaya et nous avons mis en place les commissions de candidature à l'échelle nationale dont les travaux seront achevés la semaine prochaine.
Ensuite interviendra la campagne électorale dont les thèmes s'articuleront essentiellement sur le changement, les aspirations citoyennes qui sont aussi les nôtres. Le programme de campagne du FC sera réaliste et tentera surtout de développer des préoccupations déjà soulevées par le peuple. Pour ma part, je ne compte pas postuler à ces élections.
Comment évaluez-vous vos chances lors de ce scrutin ?
Nous serons parmi la nouvelle majorité parlementaire. Nous avons les moyens de nos ambitions. Certes, nous accusons beaucoup de retard par rapport aux partis déjà existants, mais nous comptons sur l'intelligence citoyenne et sur la presse aussi qui doit dénoncer ces inégalités et ces anomalies. Nous ne ménagerons aucun effort pour que nos ambitions ne soient pas vaines.
Vous avez affirmé avoir constaté l'existence d'un électorat fictif. Avez-vous des preuves ?
Oui, j'ai donné une estimation de l'ordre de 3 à 5 millions d'électeurs fictifs. Les morts ne sont pas supprimés des listes électorales, les gens ayant déménagé n'ont pas été rayés également des listes de leurs anciennes communes. C'est la raison pour laquelle nous avons réclamé l'assainissement des listes électorales pour avoir des chiffres réels. Rien n'a été fait jusqu'à maintenant. Ce qui signifie que nous allons démarrer avec des données erronées. Ce qui ouvrira la voie à la fraude.
Le chef de l'Etat a offert des garanties quant au bon déroulement des prochaines législatives...
Théoriquement, ces garanties sont convaincantes, mais dans la pratique, beaucoup de choses restent à faire. Preuve en est, l'inscription des militaires sur les listes électorales et ce malgré l'expiration du délai légal. C'est un mauvais départ qui nourrit la suspicion. Nous avons encore le temps pour rectifier toutes ces lacunes. Certes, ces prérogatives ne relèvent pas de nous, mais les partis politiques ont le droit de dénoncer et de s'opposer à toute démarche douteuse.
Si nous constatons que les signes de fraude sont importants, il est fort possible qu'on ne participe pas à ces élections. Si la fraude sera « reine », on va se retirer de la course. Notre choix sera connu à l'approche des élections, pas maintenant. On va donner encore une chance pour rectifier ces insuffisances.
Le président de la République a promis des élections libres et transparentes, voire inédites, alors à lui d'en être le garant. L'échec de ces élections à cause de la fraude induira une déception chez le peuple. Le chef de l'Etat a fait allusion à une éventuelle ingérence étrangère, car étant parfaitement conscient de l'importance de ces élections. Jouer avec les voix des électeurs peut s'avérer dangereux. C'est aussi jouer avec la stabilité de l'Algérie. Pour ce faire, les partis politiques doivent jouer le jeu, non pour glaner des sièges, mais pour faire sortir définitivement le pays du gouffre Des voix ont suggéré qu'il faudrait soit mettre les photos des candidats sur les listes électorales, soit les classer par numérotation en fonction de l'existence historique des partis politiques en lice, et ce pour que le choix de l'électeur se fasse loin de toute anarchie. Qu'en pense le FC ?
Nous sommes contre la numérotation, car nous estimons que cela s'inscrit dans le cadre de la fraude programmée. Partant du principe que le peuple est analphabète, ces voix tentent de tromper l'opinion publique en disant d'ores et déjà que l'anarchie sera au rendez-vous.
Cette question doit faire l'objet de consultation entre toutes les formations politiques. Celles-ci doivent s'entendre sur un seul principe, en passant bien évidemment par un tirage au sort. La décision doit être connue avant le scrutin et non pas à la dernière minute.
Ne craignez-vous pas l'abstention ?
Non, nous avons peur de la fraude. Le problème est mal posé. Si la fraude est bannie, le peuple ira automatiquement aux urnes. Seul le président de la République peut rassurer les citoyens pour qu'ils aillent voter le jour du scrutin. Il doit obliger l'administration à être impartiale et permettre une supervision judiciaire réelle. Il doit remettre chacun à sa place, car il est le garant principal de toute cette opération électorale.
Dans beaucoup d'Etats arabes, les partis islamistes ont pris les commandes du pouvoir dans des situations de crise. Est-ce que cela ne risque pas de les discréditer si toutefois le changement n'est pas au rendez-vous ?
Si le peuple les a plébiscités, c'est surtout pour trouver des solutions à ces crises. La formation politique ayant pour principe de respecter la confiance citoyenne, sans nul doute elle réussira à répondre favorablement à ses exigences. Tout dépend aussi de la marge de manœuvre qui s'offre à ces partis islamistes.
Ces derniers sont capables d'insuffler de l'espoir dans les sociétés. Une mission difficile mais qui n'est pas impossible si chacun assume ses responsabilités pleines et entières. Pourquoi ces peuples arabes se sont-ils révoltés ? C'est parce que justement des crises insoutenables se sont déclenchées. Si ces partis islamistes échouent dans leur mission, le choix reviendra encore une fois au peuple pour les destituer et les remplacer par d'autres dirigeants plus engagés. Seulement, il faut savoir que des parties occultes font tout pour réduire à néant les expériences de ces partis afin de faire croire qu'ils ne sont pas faits pour gouverner. Ceci est permis dans le cadre de la concurrence partisane, mais pas en mettant en péril l'intérêt général des nations.
Etes-vous favorable au retour des ex-dirigeants du parti dissous à la vie politique ?
Nous souhaitons arriver à une étape où tous les Algériens seront égaux en termes de droits. Surtout que nous avons choisi le chemin de la réconciliation. On ne pourra pas construire l'avenir sur un lit de rancœurs et de mépris. Le FC estime qu'il faudra un jour dépasser tout cela, d'autant plus que les fauteurs sont revenus sur le droit chemin et ont tiré les enseignements de cette mauvaise expérience. Il faudrait ainsi promouvoir la réconciliation nationale en une amnistie générale, en une réconciliation véritable ou autre chose. L'essentiel c'est d'aplanir tous les différends et d'instaurer un climat serein, en levant toutes les conditions transcrites dans le document de la charte pour la paix. Les Algériens doivent tous être égaux.
A priori, il faudrait avoir résolu toutes les situations ayant résulté de la tragédie nationale. Il n'est pas question de faire machine arrière, mais d'avancer en étant entièrement débarrassé des résidus du passé.
Vous avez accusé le FLN d'avoir abruti le peuple. Ne pensez-vous pas que ceci constitue une grave accusation ?
Ce sont eux qui ont fait allusion à cela. Le FLN est intervenu auprès du ministère de l'Intérieur pour dire que l'appellation de ma formation ressemble à celle du FLN, partant du principe que le peuple ne fait pas de différence entre le changement et la libération. Mais ce sont eux qui amoindrissent les aptitudes des citoyens, pas nous. Ce sont leurs propos, pas les nôtres. Un parti qui a été cinquante ans au pouvoir est arrivé au constat que le peuple ne fait pas la différence entre « Etahrir » et « Etaghyir ». Qu'est-ce qu'il a fait alors en ce sens ? Ceci constitue un abus, une « hogra » de leur part, que nous dénonçons, car aucune loi ne tolère ce genre d'intervention.
Mme Hanoune ne cesse d'accuser les partis islamistes de bénéficier de financement étrangers...
Ce sont des propos qu'on peut inscrire dans le cadre de la confrontation politique. Celui ou celle qui a des preuves n'a qu'à saisir la justice. Celle-ci, je pense, ne permettra à aucune formation politique de titrer profit de ce genre de financement. Ces accusations ont pour but de noircir l'image des partis islamistes devant le peuple. La loi punit ce genre de propos diffamatoires. Pourquoi cacher des preuves si elles existent ? Elle n'a qu'à les transmettre à la justice qui, à son tour, entamera des enquêtes dans ce cadre.
Avez-vous convoité les démembrements associatifs du MSP ?
Notre parti renferme aussi des membres de mouvements associatifs. L'association.
El Irchad oua El Islah s'est classée parmi les rangs du MSP. Le FC est un parti politique et, légalement parlant, les associations n'ont pas le droit de faire de la politique.
La crise libyenne peut-elle avoir des retombées sur la stabilité des frontières algériennes ?
L'intervention des forces de l'Otan a compliqué davantage la situation en Libye, mais n'empêche, la révolution libyenne est légitime. Effectivement, l'Algérie est concernée par ce qui se passe autour d'elle et à ses frontières. Elle ne pourra jamais maîtriser son entourage si elle ne fait pas preuve d'une meilleure démocratie. Ce qui doit se traduire par des élections libres et crédibles, comme celles tenues dans ces Etats arabes.


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