Un tournant dans la perception de la « révolution de jasmin », submergée par le salafisme triomphant ? Tout comme son alter-égo libyen, vengeant la mort de Abou Yahia Allibi, présenté alors comme le numéro 2 d'al Qaïda, le passage à l'acte de l'aile tunisienne, dirigée par Abou Ayad, de son vrai nom Seïfallah Benhassine, se veut une défiance jamais démentie contre les Frères musulmans, à la légitimité contestée et versant, jusque-là, dans un laxisme ouvertement exprimé par l'arrestation avortée du leader salafiste recherché et reconnu coupable de l'attaque de l'ambassade américaine. Pour l'islamologue, Iqbal Gharbi, la défiance salafiste jalonne un long parcours contestataire. « Ses sympathisants ont été derrière les manifestations de mars dernier pour la charia dans la prochaine constitution. Ils ont également manifesté pour réclamer la libération des détenus dans l'affaire de Bir Ali Ben Khalifa, pourtant impliqué dans un trafic d'armes de combat pour les djihadistes tunisiens, en février dernier. La plus spectaculaire des actions d'Ansar Charia a été le grand rassemblement de quelques milliers de personnes à Kairouan, le 20 mai dernier. Abou Iyad avait alors déclaré ouvertement son intention de combattre pour l'application de la charia en Tunisie. Il avait clairement dévoilé sa sympathie pour al Qaïda », souligne-t-elle. Finie alors la duplicité d'Ennahda ? C'est que la montée en puissance de la menace salafiste commande, désormais, le temps de la « tolérance zéro », prônée par le ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, Samir Dilou, dressant le mea culpa de son parti au pouvoir. Dans une interview, parue hier, sur le site de l'hebdomadaire français l'Express, il a reconnu l'existence d'« un certain laxisme » et le « manque de fermeté » qu'il explique par le souci de s'écarter du « tout sécuritaire » propre à l'ère Ben Ali, en favorisant le dialogue. L'impossible cohabitation a été, toutefois, décrétée par la figure emblématique d'Ennahda, Rached Ghannouchi, sifflant la fin de la récréation salafiste et promettant de « serrer les vis » aux djihadistes reconnus comme un « danger » pour Ennahda, pour les libertés publiques et la sécurité nationale. La leçon étant bien retenue, l'interdiction de toute manifestation, hier, annoncée par le ministère de l'Intérieur, scelle le sort du modus operandi conclu entre Ennahda, soucieuse de « défendre le Coran et le Prophète avec des outils positifs », et ceux qui se caractérisent par des « actes négatifs, des hurlements, des violences et des actes qui ne servent pas l'islam mais les ennemis de l'islam ». Le divorce sentencieux impose à la formation islamiste majoritaire de sacrifier l'allié salafiste, devenu encombrant, pour sauver la transition battant de l'aile et une troïka à bout de souffle. « Ce gouvernement a échoué et n'est plus en mesure de diriger le pays », a martelé le président du parti Nidaa Tounès (L'Appel de la Tunisie), Beji Caïd Essebsi, appelant à la « légitimité consensuelle » en alternative à la « légitimité électorale » qui prendra fin le 23 octobre prochain sur la base d'un document signé par la troïka et limitant le mandat de l'assemblée constituante à un an. La polémique sur la nature et la légitimité de la transition est ainsi relancée.