D'emblée, Saïda Benhabyllès, l'architecte de cette rencontre, a levé tout quiproquo. « Nous ne sommes pas allés en Libye et en Syrie pour soutenir des dictateurs, mais pour mettre à nu les manipulations et les mensonges de certains médias. Le temps, les faits, la réalité, nous ont donné raison », dira l'ancienne ministre de la Solidarité nationale, prix des Nations unies pour la société civile et présidente du mouvement féminin algérien de solidarité avec la famille rurale. « Nous avons vu, depuis 2011, des rejets des régimes arabes et assisté à des événements. C'est la face visible de ces révolutions qui ont secoué la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Mais celles-ci ne peuvent en aucun cas être comparées à la révolution algérienne ou à celle qu'ont connue les pays de l'Europe de l'Est. Et quand on regarde les résultats de ces révolutions dites arabes, nous constatons les dégâts. C'est la régression dans quasiment tous les domaines. Dans certains pays, nous assistons à des guerres civiles et au retour des rivalités ethniques et tribales. Trois questions méritent d'être posées aux concepteurs de ces printemps. Un, comment pourraient-ils expliquer l'émergence des courants fondamentalistes ? Deux, pourquoi ce printemps a épargné les monarchies qui ne sont pas, de l'avis de tout le monde, un modèle de démocratie et de liberté ? Trois, comment se fait-il que lors de toutes les manifestations, aucun slogan anti-israélien n'a été scandé ? », dit-elle, pour illustrer certaines « impostures » de ce printemps avant de céder la parole à Yves Bonnet, président du Centre international de recherche et d'étude sur le terrorisme et d'aide aux victimes du terrorisme, une institution dont elle est membre fondatrice, qui expliquera à l'assistance, dont de nombreux hauts représentants de l'Etat et du corps diplomatique accrédité à Alger, cette « face cachée du printemps arabe ». Bonnet, après un bref rappel de l'histoire de l'espace méditerranéen où aucune ingérence étrangère n'a été bénéfique, met les pieds dans les plats. « sraël veut fragmenter le monde arabe et le transformer en champ d'ordures, à l'image de l'actuel Irak », dit-il, qualifiant ce printemps « d'hiver islamique ». « À eux la charia, à nous le pétrole » Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, s'est étalé sur le rôle des ONG, des médias et des réseaux sociaux. « Les printemps arabes ont été planifiés depuis 2002. Les Américains, qui ont commencé depuis quelques années à former les futurs leaders arabes (ils dépenseraient 1,5 milliard de dollars pour ce phénomène d'influence), ont appris à suivre de près tous les mouvements sociaux et ce, dans un seul but, pouvoir les utiliser à des fins précises ». Selon ce spécialiste des questions sécuritaires, « les Américains ont lancé, à la fin de la dernière décennie, une étude pas comme les autres. Ils voulaient savoir pourquoi les Arabes ne les aiment pas. Deux réponses auraient émergé. La première porte sur le soutien indéfectible à Israël. La seconde, leur refus de laisser les « islamistes » arriver au pouvoir. Dès qu'ils ont pris connaissance des réponses, ils ont, sur pression des conservateurs, opté pour « à eux la charia, à nous le pétrole » et le lâchage des câbles de Wikileaks ». Denécé craint une décomposition des Etats « traversés » par ce pseudo-printemps ou la relance de la guerre froide. Richard Labévière, écrivain et spécialiste des Proche et Moyen-Orient, ne croit pas lui aussi à ce printemps. « Que s'est-il passé depuis Bouazizi ? Rien ou presque. Les Occidentaux ont accompagné les soulèvements pour que rien ne change », dit-il, insistant lui aussi sur la « volonté » d'Israël de « tribaliser » le monde arabe. Zoubir Arrous, sociologue algérien, s'est interrogé sur « ces soulèvements simultanés et qui se sont élargis à une vitesse grand V. Sans rejeter les causes externes, comme la manipulation, il intègre les données internes. Parmi celles-ci, la répartition du revenu national ». « Et même des aides étrangères reçues », dit-il, citant le cas des Moubarak qui détournaient tout, y compris l'aide américaine. Majed Nehmé, directeur du mensuel Afrique-Asie, clôt la conférence en s'interrogeant sur le rôle du CCG. « Traditionnellement, les pays comptoirs recevaient des royalties des bateaux que leurs ports abritaient. Avec les pays du Golfe, c'est l'inverse », dit-il, estimant que les Américains avec leur GMO vont finir par récolter le contraire de ce qu'ils ont semé au Proche-Orient. « Aujourd'hui, tout le monde sait que l'Irak est devenu un protectorat de l'Iran, que la Syrie est plus proche de Téhéran que jamais, que les Occidentaux ont miné les plans de sortie de crise de Annan et de Brahimi et que le régime syrien récupère sur le terrain et ce, à deux mois de la troisième année de sa sale guerre ».