Les Tunisiens, pas seulement les voisins du militant politique à Djebel Jelloud, un quartier de la banlieue sud de Tunis, accusent Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir, d'être « politiquement responsable » de ce meurtre qui a déclenché deux jours de violence opposant policiers et manifestants à travers le pays. Quatre partis demandent la dissolution immédiate de la Ligue nationale de protection de la révolution. « On a perdu un grand héros. Il ne faut jamais craindre le pire mais toujours espérer le meilleur », suggère Beji Caïd Essebsi, l'ancien Premier ministre post-révolutionnaire et leader de l'opposition laïque. Houcine Abassi, le SG de la centrale syndicale, appelle à bannir la violence sous toutes ses formes. Notamment les liquidations physiques. Il demande aux Tunisiens de mettre à profit cet « assassinat » pour « unifier » leurs rangs, « asseoir le dialogue entre les différentes parties » et « barrer la route aux ennemis de la liberté ». Hamadi Jebali, le Premier ministre et numéro « deux » d'Ennahdha. Il annonce la formation d'« un nouveau gouvernement de compétences nationales sans appartenance politique » avec un mandat limité à la gestion du pays jusqu'à la tenue d'élections « dans les plus brefs délais » sans faire référence à l'Assemblée nationale constituante, la seule à même de pouvoir approuver ce nouveau gouvernement. « Ma position a été fixée avant cet incident mais ce crime odieux a accéléré ma prise de position avec une décision dont j'assume la responsabilité et soyez sûrs que je n'ai consulté ni partis politiques au gouvernement ni opposition, j'ai simplement consulté ma conscience, mon devoir, ma responsabilité devant Dieu, et devant notre peuple. Les négociations sont arrivées à un point, je ne vais pas dire « d'échec », mais « d'arrêt ». Mais notre peuple ne va pas s'arrêter, il veut de vraies solutions, sociales, les chômeurs en premier, les pauvres en premier, les persécutés en premier, les victimes en premier... », dit-il. Et de préciser que les membres de ce cabinet ne pourront pas se présenter aux prochaines élections « libres, transparentes et démocratiques ». Bras de fer Ghannouchi-Jebali ? Ghannouchi, le chef du mouvement islamiste, qui possède 88 des 217 sièges de l'Assemblée, dit « niet » à la proposition « unilatérale » de son « dauphin ». Ennahdha au bord de l'implosion ? « Nous croyons, nous à Ennahda, que la Tunisie a besoin aujourd'hui d'un gouvernement politique (...) », affirme Abdelhamid Jelassi, le vice-président du parti du mouvement islamiste fort de l'appui d'Ansar Chariaa qui a déploré que l'on se recueille sur l'âme de Chokri Belaïd. La Présidence affirme n'avoir reçu « ni démission du Premier ministre ni les détails d'un cabinet restreint de technocrates ». Même l'opposition ne veut pas de l'option de Jebali. « Ce qui est demandé aujourd'hui est un gouvernement d'union nationale », estime Omeyya Seddik, politologue et président de l'association Al-Muqaddima, dénonçant une « tentative de coup d'Etat de velours ». Hamma Hammami, le chef du Parti des travailleurs, et leader du Front populaire, une coalition de partis de gauche, rejette lui aussi cette « option ». Il demande la démission du Premier ministre. Fin de la troïka que la députée d'Ettakatoul, Karima Souid qualifie d'« erreur historique » ? Bien avant le choc de cet assassinat qui semble sur le point d'isoler Ennahda, le Congrès pour la République et Ettakatol n'ont pas cessé de dénoncer son attitude hégémonique. Le président Marzouki menace, dit-on, de claquer la porte si Ennahda ne laisse pas son numéro deux faire son « remaniement ministériel » et limoger le ministre des Affaires étrangères, Rakik Abdessalem, le gendre de Ghannouchi, éclaboussé par des accusations de corruption. En attendant, certains Tunisiens se demandent à qui profite ce crime ? Aux barbouzes de l'ancien régime, ses nostalgiques ou aux dictateurs en puissance ? « Grosses tensions à prévoir », confie Barah Mikail, directeur de recherche à la Fride, la Fondation pour la recherche internationale, se gardant de « tout pronostic » même s'il est convaincu qu'Ennahda doit « faire des choix radicaux » s'il veut « sauver les meubles » et garantir la stabilité du pays.