Mohamed Morsi, qui se pose en garant de la « réconciliation nationale » et de la « paix sociale », est en rogne. Il refuse de céder à l'ultimatum que lui a adressé l'armée, celle-là même qui a déclaré, la semaine dernière, qu'elle ne laisserait pas le pays « plonger dans un tunnel sombre de conflit et de troubles ». D'autant, dit-il, que cette institution, dont il est le chef suprême, n'a pas pris le soin de le consulter. Il rejette aussi l'appel l'ultimatum que lui a donné l'opposition : quitter le pouvoir avant le lancement d'« une campagne de désobéissance civile totale ». « L'Egypte ne permettra absolument aucun retour en arrière quelles qu'en soient les circonstances », répond-il au commandement militaire qui lui a demandé, lundi, de satisfaire, dans les 48 heures au plus tard, les revendications du peuple. « Si ces revendications ne sont pas satisfaites durant cette période, les forces armées annonceront une feuille de route et des mesures pour superviser sa mise en œuvre », indique un communiqué de l'armée lu à la télévision par son chef d'état-major, Abdel Fatah al-Sisia. « Seul le peuple peut décider du sort du pays et c'est ce qu'il a fait lors du référendum constitutionnel de décembre », dit le Parti pour la liberté et la justice, aile politique des Frères musulmans. Le mouvement invite les Egyptiens à « se rassembler pour défendre l'ordre constitutionnel et pour exprimer leur refus de tout coup d'Etat ». Morsi, se prévalant à mots couverts de soutiens des démocraties, laisse entendre que le texte de l'armée contient « des signes pouvant causer la confusion », « approfondir la division » et « menacer la paix sociale ». Et c'est tout naturellement qu'il précise qu'il « poursuit ses consultations avec toutes les forces nationales » et ce, explique-t-il, pour « sécuriser la voie du changement démocratique et la protection de la volonté populaire ». Toutefois, le président ne dit pas avec qui il dialogue. Une chose est sûre, il ne le fait pas avec l'opposition qui refuse de s'asseoir à sa table. Démissions en cascade Sous la pression de la rue, Mohammed Kamel Amr, le ministre des Affaires étrangères, claque la porte du gouvernement. Quatre autres ministres, dont celui du Tourisme, l'ont fait lundi. Ehab Fahmi, porte-parole de la Présidence, et Alaa al-Hadidi, porte-parole du gouvernement, ont annoncé eux aussi leur départ. Un certain nombre de gouverneurs de provinces ont eux aussi déposé leur démission par souci, selon eux, de « protection de l'intérêt général ». Dimanche, huit membres de la Chambre haute ont remis le tabler. Al Arabiya croit savoir que le Premier ministre, Hicham Qandil, aurait remis sa démission. Selon Mena, l'agence officielle, deux poids lourds du gouvernement – Défense et Intérieur – n'ont pas assisté, hier, à un conseil des ministres. Comme si ces défections ne suffisaient pas pour jeter un discrédit sur un Morsi décrié par la rue et isolé, y compris dans sa famille politique, – les partis Al-Nour et Al-Wasat se sont ralliés aux manifestants –, la justice lui inflige un revers supplémentaire. Elle a ordonné la réintégration d'Abdel Méguid Mahmoud au poste de procureur général. L'armée ne fera pas de coup d'Etat Le général Abdel Fattah al-Sissi, le patron de l'armée, ne veut pas s'investir en politique ni préparer un putsch. Même s'il s'est rangé du côté du peuple, il veut, précise-t-il, « pousser tous les bords politiques à trouver une issue rapide à la crise actuelle ». L'opposition aussi demande la démission de Morsi. Le Front du Salut national affirme, dans un communiqué, ne « soutenir aucun coup d'Etat militaire ». Selon la principale coalition de l'opposition, l'ultimatum lancé par l'armée ne signifie pas que les militaires veulent jouer un rôle politique. « Le FSN est déterminé à construire un Etat démocratique, civil et moderne (...) Nous faisons confiance à la déclaration de l'armée, reflétée dans son communiqué, selon laquelle elle ne veut pas s'investir en politique ou jouer un rôle politique », ajoute le texte. Répondant aux accusations des partisans du Premier président civil élu dans le pays, le Front du salut national affirme que « demander à M. Morsi de démissionner n'est pas contraire aux règles démocratiques ». Il explique réclamer le départ du chef de l'Etat parce qu'« aucune des revendications de la révolution de 2011 n'a été réalisée ». Certains « connaisseurs » de l'Egypte se demandent si l'armée est prête à soutenir le plan de sortie de crise élaboré par l'opposition. C'est-à-dire procéder au remplacement du président Morsi par le président de la Cour constitutionnelle et à la désignation d'un Premier ministre indépendant à la tête d'un cabinet de technocrates qui auraient six mois pour rédiger une nouvelle Constitution suivie d'élections présidentielle et législatives. D'autres pensent que l'armée doit imposer rapidement un consensus entre les « islamistes » et les autres. C'est la seule voie qui permettrait à des Frères, mis dos au mur, de ne pas sombrer dans la violence. L'opposition se positionne déjà pour un éventuel dialogue avec l'armée et la préparation de la transition politique. Elle a désigné son représentant : l'ex-candidat à la présidence, Mohamed El-Baradei. « Les revendications, que nous allons présenter à l'armée, sont principalement que le président Morsi démissionne et que nous allons avoir besoin d'un gouvernement fort et d'un président intérimaire, dont nous proposons qu'il s'agisse du président de la Cour constitutionnelle », explique l'ex-patron de l'AIEA. Ici et là, on estime que cette crise pourrait réveiller les ambitions de certains généraux. Comme Sami Anan, l'ancien chef d'état-major des forces armées qui a démissionné, lundi, de son poste de conseiller à la Présidence. Il reviendra à la politique si le peuple le lui demande, dit-il. Mais une question s'impose : comment la passation de pouvoir pourrait-elle s'effectuer, si possible sans violences ? Selon toute vraisemblance, la crise que traverse oum dounya n'est pas près de se terminer.