Le 5 juillet n'est pas une date anodine pour les Algériens. Sa simple énonciation évoque aussitôt un anniversaire inscrit au fronton de l'histoire. Elle reste, malgré tout, le symbole d'une reprise en main de leur destin contrarié par les vicissitudes de l'histoire. Etre indépendant, c'était briser les chaînes de l'oppression, cesser surtout d'être un indigène et rompre avec leur condition d'infra-humain pour accéder au statut d'Homme. Pouvait-il être désigné ainsi celui qui ne pouvait se déplacer librement dans son propre pays, celui qui était privé d'instruction et de soins ? De tous ces prétendus bienfaits de la colonisation. Vivre le 5 juillet 1962, c'est voir le rêve transmis de génération en génération prendre forme et se réaliser. Il fut un temps où l'Algérien était privé de son drapeau, du moindre attribut de souveraineté. Il était rattaché à un pays qui ne présentait que sa face hideuse qui se laissait défendre par Le Pen et reniait Sartre et ceux qui avaient pris tôt conscience que ceux qui maintenaient contre vents et marées la colonisation avaient perdu conscience. Ceux qui ont vécu l'événement, il y a déjà un peu plus de cinquante ans, restent encore marqués par l'ivresse collective du peuple, heureux de se libérer. En quelques jours, les rues des villes et villages dans tout le pays étaient devenues des arènes pour laisser exploser une immense joie. On saluait dans une débauche de sons et de couleurs l'avènement d'une liberté chèrement acquise. Elle ne fut pas un simple transfert formel de souveraineté. Au prix d'emprisonnement, de tortures, d'exécutions sommaires et de destructions de mechtas, le peuple avait tous les droits de saluer l'aube naissante. C'était d'abord sa victoire qu'il tenait à célébrer dans une communion totale. Face aux protagonistes de la crise qui se chamaillaient alors sur le pouvoir, n'a-t-il pas rappelé dans un slogan partagé que « sept ans, ça suffit ». L'indépendance de l'Algérie ne fut pas octroyée mais arrachée. Cela explique pour une large part encore ce patriotisme à fleur de peau des Algériens et ce refus de toute forme de « hogra ». La décolonisation ne fut pas rien pour les Algériens. Leur révolution a eu une résonance internationale et demeura longtemps un exemple à suivre, une référence pour les autres peuples. L'affirmation de Fanon, qui écrivit dans « Les Damnés de la terre » « qu'elle modifie fondamentalement l'être transformé de spectateur écrasé d'inessentialité en acteur privilégié », s'applique à eux. Ils sont sortis de la longue nuit coloniale, pour reprendre Ferhat Abbas, pour se laisser balayer par les faisceaux lumineux de l'histoire. La nouvelle génération, celle qui n'a pas connu la condition de sous-homme dans son propre pays, juge seulement les résultats d'un mouvement. Elle s'intéresse et sonde moins ses raisons. Elle a aussi des impatiences et des colères qui, partout, font avancer l'histoire. Il suffit pourtant pour chacun de nous de se remémorer cette simple phrase de nos aïeux. Ils rêvaient seulement de devenir indépendants quitte à se nourrir de plantes. A elle seule, elle résume la valeur d'un capital symbolique qui garde, malgré les outrages du temps et des hommes, son inestimable valeur. Toute la culture algérienne à travers la chanson et la littérature notamment, a immortalisé ce rêve qui paraissait alors inaccessible. La réalité, depuis, ne fut pas sans doute toujours à la hauteur des espérances. Des réalisations et des progrès ont été accomplis. Des idéaux ont été aussi reniés, des promesses non tenues. La colère et les frustrations sont désormais algériennes. Etre indépendant c'est peut-être et avant tout cela. Pouvoir se dire entre nous ce qui ne va pas. Comme dans une famille qui n'accepte pas les intrusions des autres et retrouve ses réflexes d'unité à la moindre alerte.