Vous avez publié un livre « L'épopée de Baba Merzoug » (le canon d'alger), qu'est-ce qui a motivé l'écriture de cet ouvrage ? Après avoir consacré quelques émissions radio sur le canon « Baba merzoug », j'ai décidé de militer pour sa restitution par la France à l'Algérie vu qu'il a été pris indûment par l'amiral Duperré en août 1830 pour être transporté vers sa ville natale qui est Brest dans le Finistère (France). Pour cette action, j'ai créé un comité à cette fin en 1999 pour sa restitution et nous sommes à l'heure actuelle à plus de 25.000 signatures en plus des comités à Paris, Nice, Lyon, Montréal, San Francisco et l'Ile de la Réunion. L'engouement suscité par cette revendication m'avait incité à écrire l'histoire de cette fabuleuse pièce d'artillerie afin de faire connaître davantage son concept et sa fabrication dans l'atelier de « dar enhass » (fonderie) dans la Basse Casbah. L'histoire de ce canon est telle que des années de recherches me furent nécessaires pour remonter « la piste » et surtout les données concernant le consul de France Levacher par rapport aux actes de l'amiral Dusquesne, donc de 1533 jusqu'à sa sortie en 1542. Ayant élucidé les raisons qui poussèrent Hadj Hassen Mezzo Morto, le dey d'Alger, à mettre le consul Levacher à la bouche de « Baba Merzoug » et les méfaits de Duquesne, j'ai donc décidé d'écrire ce livre pour faire connaître aux Algériens cette histoire, cette fabuleuse réalisation et un pan entier de l'époque Ottomane à El Djazair. J'ai écrit aux trois derniers présidents français et leurs ministres, à une trentaine de députés et sénateurs français, à des historiens et présidents d'associations pour les sensibiliser sur cette restitution à valeur symbolique, surtout pour faire une jonction avec le passé ottoman et d'autres démarches en cours pour la restitution des crânes de nos chefs résistants décapités et transférés au musée de l'homme à Paris (une honte pour la France), la clef de Laghouat prise par Pélissier en compagnie de Cavaignac, Yusuf et autre St Arnaud, lors du génocide de ce ksar martyr, le météorite de Tamentit (une demi tonne ) et d'autres objets pris par les colonialistes français . Est-ce que vous pensez qu'il est temps de sortir de l'oralité pour consigner dans les livres tout ce qui se rapporte à notre culture ? L'oralité est indispensable pour la construction d'un ouvrage historique à mon avis car qui dit oralité dit légende et il est difficile de livrer un écrit historique si la légende et l'histoire ne sont pas associées car les deux se portent secours (si l'histoire enregistre des manques c'est la légende qui viendra à son secours et idem pour la légende). N'eut été l'oralité, les légendes du vieil Alger seraient méconnues. Cependant, il faut combler les vides en construisant pour romancer le récit lui-même pour en faire un livre, donc des livres. Vous avez déjà publié des ouvrages qui parlent notamment d'Alger. Pourquoi cet attachement à cette ville ? D'abord je suis un enfant de la Casbah d'Alger (la médina de Sidi Abderahmane) je suis né à « sabbat el hout », au bastion 23, un des hauts lieux de notre glorieuse marine avec l'amirauté et sa darse et c'est là que j ai découvert l'existence de Raïs Hamidou et de « Baba Merzoug » grâce aux récits de mon grand-père Baba Omar El Bahri en 1950 (jusqu'en 1985, personne, à quelques rares exceptions, ne connaissait leur existence). Ayant grandi dans la Casbah en parcourant toutes ses dédales et multipliant les quatre cents coups, me référant à son histoire, ses légendes, la résistance de ses enfants face aux hordes colonialistes, sa glorieuse bataille d'Alger comment voulez-vous que je ne sois pas attaché à ma ville ? Même si la ville était dans la Casbah en 1830 et maintenant la Casbah dans la ville d'Alger, j'aime éperdument ma « ASSIMA » tout comme les enfants des autres villes à vieux quartiers aiment la leur. En ce qui concerne les écrits ou livres prochains je peux vous citer : Histoires et légendes du vieil Alger qui retracent les vies et les actions des saints d'Alger et des anecdotes inédites sur les us et coutumes de l'époque, Les histoires d'amour dans la Régence d'Alger, Le général Yusuf monstre ou démon ? Cervantès a-t-il menti ? et d'autres inscrits sur ma feuille de route. Comment la fondation que vous présidez, la Fondation Casbah en l'occurrence, compte contribuer à la sauvegarde de la ville éponyme qui ne cesse de se dégrader ces dernières années ? Nous avons créé la Fondation Casbah en 1990 et nous n'avons pas cessé de nous battre pour la sauvegarde et la réhabilitation de cette cité millénaire et notre contribution a été multiforme, à savoir : militer pour la mise en place d'un opérateur unique pour gérer le Casbah. Nous ne l'avons obtenu, hélas, qu'en 2013 par la création d'une direction générale des secteurs sauvegardés dirigée par notre ami Lazhar Bounafa en qui nous avons confiance. Nous avons contribué au classement de la Casbah dans le patrimoine mondial en allant de nos deniers aux réunions de Santa Fé et Tunis, pour obtenir gain de cause en décembre 1992. Nous avons collaboré sincèrement à toutes les actions initiées par les pouvoirs publics (la dédensification et le plan de l'ancien gouverneur malheureusement stoppé en plein élan) à la loi 98/04, au plan permanent de sauvegarde et des dizaines d'autres actions ayant trait à la sensibilisation au travail de proximité, aux mises en garde concernant les actions dites de « restauration » en dressant un bilan annuel chaque année au mois de février à la faveur de la commémoration de la journée de la Casbah tous les 23 février au forum d'El Moudjahid, ainsi de suite. La Casbah est, aujourd'hui, dans un état inquiétant. Avez-vous un appel à lancer autant pour les autorités que pour ses habitants pour réhabiliter et préserver la Casbah d'une ruine certaine ? Chaque jour que Dieu fait, un pan de mur s'écroule ou menace de s'écrouler entraînant la bâtisse ou celle mitoyenne. La Casbah est maintenant diminuée de près de la moitié de ses doueratte et son tissu est « métastasé ». Bien sûr que des opérations d'urgence sont entamées et un étaiement salutaire mis en place, mais et après ? Le danger persiste, le squat continue dans l'impunité totale en raison de l'absence de structures de protection que doit mettre en place le ministère concerné (les gradins du patrimoine) censés alerter les services de police de toute tentative de squat après démolition de l'accès de la bâtisse (beaucoup de bâtisses évacuées et ses occupants relogés à l'époque du gouvernorat sont investies par des « relogés » de l'îlot, le danger persiste et nous continuons à la regarder disparaître à cause de l'agression du temps et des hommes et plus de 60% des habitants de la Casbah ne sont concernés par le relogement qu'à cause de la promiscuité et des conditions désastreuses de vie. Personne ne veille à la protection et la conservation des murs qui l' entourent et les propriétaires sont minés par des problèmes récurrents de l'indivision et la multiplication des héritiers (personne ne veut collaborer ou s'associer à la réhabilitation de la bâtisse qui l'a vu naître), d'où l'application nécessaire de la loi 98/04. Je préfère m'arrêter là car cela fait trop mal quand on pense à ce que nos voisins font de leurs médinas et de leurs sites historiques. La responsabilité incombe tout d'abord au ministère concerné, faute probablement de moyens financiers, qui n'arrive pas à accomplir sa mission, pourtant un secrétaire d'Etat au Tourisme a claironné que des centaines de milliards de dinars ont été alloués à la Casbah. On tarde à mettre en pratique un véritable plan « Marshall » sur la Casbah et même sur les autres médinas d'Algérie (car ce qu'engendreront une fois restaurées ces médinas dépassera largement les moyens financiers mis en devises grâce au tourisme.) Les habitants actuels ne collaborent pas à la préservation des doueratte qu'ils occupent, à la propreté de leurs rues et ne veillent pas à faire cesser le pillage des mosaïques, chapiteaux, colonnes et rondins issus des démolitions et autres effondrements. Mon appel s'adresse à tout ce monde pour qu'il réagisse avant l'issue fatale et le déclassement de la Casbah de la liste du patrimoine mondial ce qui équivaudrait à un remake du coup de l'éventail, mais cette fois-ci c'est l'Algérie qui le recevra.