Par Rachid Hammoudi Le genre autobiographique a pris, ces dernières années, une place de plus en plus grande dans le catalogue de nos éditeurs. Egos hypertrophiés ou légitime besoin de témoigner pour la postérité ? Entre mémoires, récits de vie, journaux, de plus en plus d'Algériens (nes) n'hésitent plus à évoquer leur destin, à lever le voile sur des aspects de leur existence personnelle ou familiale. Le jeu supplante progressivement le nous en même temps que se fissure la société traditionnelle et se fragilisent ses bases. « Le retour apparent du sens de la communauté ne peut faire illusion » observe un jeune auteur de langue arabe. « On se confronte désormais avec soi, à ses reves et à sa mémoire. La subjectivité prendra de plus en plus d'espace dans le travail des créateurs qui adoptent même de nouvelles techniques d'écriture qui rompent avec le moule traditionnel » explique Khiar Chouar qui vient de faire paraître un roman intitulé Thouqoub Zarqa. Certes, les écrivains algériens, comme partout ailleurs, se sont toujours inspirés de leurs parcours pour écrire. « Le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun n'est que la transposition, à peine romancée, de la vie de l'auteur. Plus récemment, un livre, comme « Le cri » de Samir Toumi est né de sa vie partagée à un moment entre Tunis et Alger. D'autres romans en langue arabe ou en langue française (Assia Djebbar, Dib, Boudjedra , Taos Amrouche, Malika Mokadem, Mohamed Sari , Merzak Bagtache...) révèlent aussi des épisodes de la vie des auteurs. Avec « l'écrivain », où il évoque son cheminement et la naissance de sa vocation, Yasmina Khadra s'inscrit dans cette lignée. Mais pour des considérations liées à la religion, à la pudeur, les écrits intimistes sont restés assez rares. La restriction des libertés du temps du parti unique a fait que peu d'auteurs ont vu leurs écrits paraître au pays. Le commandant Azzedine, Mohamed Lebjaoui, ont d'abord édité en France de même que Kassa Houari, Said Ferdi et Djohra Abouda. C'est au Liban que Latifa Farouk s'épanche sur sa vie privée. Lieux d'archives Avec la démocratisation en Algérie, on ne compte plus, ces dernières années, les documents se rapportant à des parcours individuels qu'ils soient politiques ou relatant un parcours professionnel. Les médecins Messaoud Djennas et Aldjia Bennalaegue Nourredine ont livré d'intéressants témoignages qui ont un intérêt sociologique. Les récits de vie sont des lieux d'archives car ils montrent la société sous son vrai visage. Qui mieux qu'« Histoire de ma vie » de Fadhma Ait Mansour décrit la période coloniale avec son lot de grandes misères et de petites joies. « Les mémoires d'un témoin du siècle », de Malek Bennabi, nous révèle d'autres facettes liées à cette période. L'histoire s'est taillée la part du lion. Beaucoup d'acteurs de la guerre de libération (Ali Kafi, Djamila Bouhired, Ali Haroun,Tahar Zbiri, Mohamed Harbi) ont confié leurs manuscrits à des éditeurs nationaux. Fait notable, des hommes ayant exercé de hautes responsabilités au sein de l'appareil d'Etat, à l'exemple de l'ex-président de la République, Chadli Bendjedid, des ex-ministres des Affaires étrangères, M. Taleb Ibrahimi et Sid Ahmed Ghozali, ou de l'ex-chef d'état- major de l'ANP, le général-major Nezzar ont révélé des aspects du fonctionnement de celui-ci. Fait singulier, même des ambassadeurs comme Lemkami et Khalfa Mammeri avec ses souvenirs de Chine et un ex-directeur de la cinémathèque se sont mis à l'écriture. Certes, Bachtarzi, qui a publié ses mémoires en deux tomes, a tardé à faire des émules mais, depuis, d'autres artistes, comme Hilmi, ont écrit ou se sont fait écrire le récit de leurs trajectoires. Un éditeur nous confie que « plus de la moitié des manuscrits qu'il reçoit relève de récits personnels. Selon lui, « cela s'explique par deux facteurs. En premier lieu, toute une génération arrivée à un âge avancé songe à laisser une trace. Il ne faut pas oublier que dans les années 80, alors qu'ils avaient déjà dépassé les 70 ans, Ferhat Abbas, Ben Khedda ou Saad Dahleb avaient déjà publié leurs mémoires ». Il faut sans doute y voir dans cette profusion de titres une conséquence des différentes épreuves traversées par la société algérienne. L'écriture a depuis toujours eu une fonction de Catharsis et après chaque tramautisme collectif, il y a un recours vers l'écrit pour se libérer, tenter de comprendre et de dépasser les tourments. Qu'on cherche à régler des comptes, à élever un rempart contre l'amnésie ou à satisfaire un ego hypertrophié, beaucoup d'auteurs sont emmenés à se tourner vers ce genre. L'émergence déjà visible de l'individu dans notre société ne peut que conforter cette tendance.