Politique et pol�mique, l��uvre de Amin Zaoui reste toujours marqu�e par son c�t� volontairement provocateur sulfureux. Auteur prolifique, l�auteur de La culture du sang : fatwas, femmes, tabous et pouvoirs, un essai politique sur la soci�t� alg�rienne publi� en 2003, imprime � son �criture un souffle po�tique et subversif. Une esth�tique du d�voilement et de la remise en cause consubstantielle � un d�sir d�aller fouiller dans les recoins cach�s de soci�t� pour en d�busquer les tabous les pesanteurs st�rilisantes et qui la tirent vers le bas. Son dernier opus, Dernier Juif de Tamentit annonce, d�ailleurs, la couleur. Le r�cit qui se focalise sur le destin singulier de deux narrateurs est un pr�texte pour remonter le fil du temps. Le roman arpente les �poques et la g�ographie pour �voquer l�histoire religieuse et ethnique de l�Alg�rie et d�voile, sous la patine du temps, le pass� �cum�nique, empreint de tol�rance de ce pays ou juifs, chr�tiens et musulmans ont toujours cohabit�. Amine Zaoui �voque aussi ses choix scripturaires. L� aussi, il assume son de perturbateur qui se moque des schismes linguistiques entretenus par des coteries id�ologiques bien connues. �Ecrire en arabe et en fran�ais, c�est comme voler avec deux ailes�, soutient Amin Zaoui qui d�fend sa vision et ses choix stylistiques dans l��criture de ses romans en arabe qui sont, pour lui, une fa�on de participer au mouvement de lib�ration d�une langue camisol�e par carcan de la pens�e traditionnelle et religieuse. Aider cette �langue-chrysalide � � sortir de son cocon pour devenir un papillon avide de libert�, c�est un peu le sacerdoce que s�assigne Amin Zaoui qui se fait, volontairement, le pourfendeur de l�intol�rance, des tabous et de la soumission des femmes. Le Soir d�Alg�rie : Parlons un peu de vous, de votre parcours litt�raire. En plus d��tre l��crivain le plus prolifique de votre g�n�ration, vous �tes aussi le seul qui �crit dans les deux langues. Quel est le secret de ce choix ? Amin Zaoui : Tout � fait. Dans ma g�n�ration, je suis le seul romancier qui �crit dans les deux langues. Ecrire en arabe et en fran�ais, c�est, pour moi, voler avec deux ailes. C�est magnifique d�avoir cet �quilibre. J�ai la chance de ma�triser les deux langues. Toutefois, je n�ai pas d�explication tr�s claire sur l��criture en langue fran�aise ou en arabe. Il y a, me semble-t-il, un choix intuitif qui �chappe � toute explication, selon que je me mette � �crire de droite � gauche ou de gauche � droite. C�est un peu comme quelqu�un qui se trouve dans l�eau ; le seul choix qui lui reste, dans ce cas, c�est de nager. Mais peut-on appr�hender la r�alit� ou l�imaginaire de la m�me fa�on, selon qu�on �crive en fran�ais ou en arabe, autrement dit, dans votre exp�rience personnelle, vous arrive-t-il de vous servir du m�me corpus pour �laborer une fiction en arabe ou en fran�ais ? Je ne me trahis pas. J��cris les m�mes th�mes, les m�mes approches en langue arabe comme en langue fran�aise. Bien s�r, ce n�est pas facile de faire circuler le livre en langue arabe qui est, en soi, une belle langue mais qui est prise en otage par la censure sociale et le contr�le institutionnel. Le fran�ais est, en revanche, pour moi une langue refuge qui me permet de m�exprimer de fa�on plus libre. Dans un entretien que vous avez accord� � un quotidien national, il y a quelques ann�es, vous avez d�clar� ceci : �J��cris en arabe pour lib�rer cette langue et j��cris en far�ais pour me lib�rer. � Ce mouvement de lib�ration, si on peut l�appeler ainsi, qui a �t� men�, avant vous, par d�illustres �crivains comme Taha Hussein, reste encore � faire ? Effectivement. Dans mes romans, j�essaie de lib�rer la langue arabe des pesanteurs sociales. Quand Taha Hussein a �crit sur la po�sie ant�islamique (de la Djahilia), il a �t� renvoy� de l�universit� d�Al Azhar. En tant que doyen de l�universit�, il a �t� chahut� C�est un probl�me qui est inh�rent � la soci�t� et non � la langue. Cela d�note, � mon sens, une chose essentielle : la pens�e critique, rationnelle et historique n�a pas �t� d�velopp�e au sein des soci�t�s arabomusulmanes de notre temps. Mon objectif � travers ma fa�on d��crire, c�est d�arriver � r�concilier la langue arabe avec la pens�e moderne, avec le nouveau style. Ma culture occidentale et ma connaissance de la langue fran�aise et de la litt�rature universelle constituent pour moi une opportunit� pour essayer d�arrimer la langue arabe � la modernit�. C�est aussi une mani�re d�insuffler � cette langue une m�moire de r�sistance et une dimension contemporaine. Est-il vrai qu�un de vos livres a �t� censur� et qu�un autre a �t� br�l� par les islamistes ? Oui, c�est vrai. Et si on peut utiliser le mot autodaf� dans cas, je peux dire que je suis une victime d�un tel acte qui a vis� mon roman Assamaa Athamina, (Le huiti�me ciel). Quand je l�ai �crit en 1989, les islamistes l�ont jug� blasph�matoire. C�est un roman autobiographique que j�ai �crit lorsque je passais mon service national en 1989 � El-Ghomri, � c�t� de Mascara. C��tait � l��poque de la mont�e de la d�mocratie en Alg�rie. A la publication de ce roman, � ma sortie du service national, les islamistes l�ont br�l� � Sidi-Bel-Abb�s, Oran, Sa�da� Un libraire a demand� � ces gens-l� pourquoi ils br�laient les exemplaires du roman qu�ils venaient d�acheter et est-ce qu�ils ont pris la peine de le lire ils ont r�pondu qu�ils ne l�ont pas lu et que c�est le titre qui les g�nait. Pour eux, j�ai blasph�m�. �Dieu a cr�� sept ciels et lui (l�auteur, ndlr) parle du huiti�me ciel�, disaient-ils. Quant au deuxi�me roman, Saheel al djassad (le hennissement du corps) que j�ai publi� en Syrie, il a �t� tout simplement pass� au pilori et interdit de diffusion. La censure l�avait jug� licencieux. Pire, l��diteur a �t� mis en prison et la maison d��dition ferm�e. Revenons � la th�matique de vos romans. On constate que la femme est au centre de vos pr�occupations textuelles. Dans l�essai, La culture du sang, c�est le triptyque femme-pouvoir-tabou que vous d�veloppez... C�est vrai. La femme reste le point central de toute mon �uvre. Je suis convaincu que toute soci�t� ne peut avancer sans la pr�sence des femmes dans tous les domaines de la vie sociale : en politique, en �conomie, dans les sciences, etc. Malheureusement, en Alg�rie et dans l�ensemble du monde musulman, la femme est marginalis�e. Elle est r�duite � une fonction d�corative. Dans mes romans, je rends hommage aux femmes et � leur r�sistance. Vous n�avez pas peur de passer pour un auteur sulfureux, provocateur ? La litt�rature est la s�ur jumelle de la libert� ; et la libert� dans notre soci�t� communautaire est une provocation. Quand on r�clame la libert� collective ou individuelle on est vite tax� de provocateur, on est la brebis galeuse ou le mouton noir au milieu du troupeau. La litt�rature, c�est d�abord la prise de position du c�t� de la libert�. Il n y a pas de litt�rature sans libert�. Je ne peux pas imaginer un texte avec des am�nagements, en fonction des convenances d�une p�riode historique donn�e, de la soci�t� ou du pouvoir en place. Pour moi, la litt�rature ou un texte est un tout ou rien, il n y a pas de demi-mesure. Quand on est dans cette dimension on ne peut �tre que provocateur. Pour autant, la provocation n�est pas, chez moi, une attitude gratuite. Elle doit servir � construire et � transformer une situation donn�e. Un exemple, pour illustrer mon propos : l��criture de Le Dernier Juif de Tamentit m�a demand� deux ans de recherche documentaire ; j�ai pass�, pour cela, plusieurs nuits dans les zaou�as de B�char, d�Adrar, de Tamentit � compulser des documents historiques et � �tudier des manuscrits. J�ai m�me consult� des manuscrits en espagnol pour me documenter sur les juifs de Grenade et sur ceux parmi ces derniers qui ont �t� exil�s d�Andalousie vers le Maghreb et l�Alg�rie. Dans ce cas-l�, provoquer veut dire d�voiler, faire conna�tre des r�alit�s. Notre pays est pluriel, divers, c�est un puzzle qu�on ne peut pas r�duire � une seule pi�ce. Le Dernier Juif de Tamentit est un message en direction des diff�rentes g�n�rations pour dire que l�histoire de notre pays a �t� fa�onn�e par une mosa�que de peuples, de civilisations, de langues et de religions. Il ne faut pas se voiler la face et se dire que nous sommes le fruit d�une civilisation, d�une religion ou d�une langue uniques. Le Dernier Juif de Tamentit est un roman p�dagogique qui doit �tre enseign� � l�universit� et dans les lyc�es pour dire � nos �tudiants et � nos lyc�ens : voil� votre miroir, sans ce miroir-l�, vous ne pouvez pas avancer. Vous n��tes pas adepte du politiquement correct, cela vous a valu des d�boires, vous avez �t� �vinc� de la t�te de la Biblioth�que nationale� La litt�rature, pour moi, n�est pas une r�ponse � une situation donn�e. Vous avez cit� Les gens du parfum, Le sommeil du Mimosa, ce sont des romans que j�ai �crits avant d��tre nomm� � la Biblioth�que nationale et j�ai �crit Festin de mensonges alors que j�en �tais le directeur. Cela veut dire ceci : quand j��cris, je fais abstraction de ma fonction. Ecrire n�est nullement une r�ponse quelqu�un ou � une situation conjoncturelle. Quand j��cris, je mets l�Alg�rie au centre de mon interrogation, j�essaie de donner ma vision sur mon pays et la soci�t� � laquelle j�appartiens. La litt�rature est une existence. Les s�ances de vente-d�dicace se multiplient et deviennent un rituel incontournable pour les �crivains et les professionnels du livre. Cela ob�it � quoi � votre avis ? A l�envie de para�tre? C�est l�int�r�t commercial qui est recherch� ? Je pense qu�une vente-d�dicace ne vaut pas seulement par le seul int�r�t commercial. Je ne viens pas seulement pour signer et d�dicacer mes livres. C�est surtout pour rencontrer mes lecteurs. La rencontre entre l��crivain et son lecteur est une fa�on d��tre dans la proximit� humaine, dans la convivialit�. C�est un geste porteur d�une synergie qui place l��crivain et son lecteur ou �le consommateur� des livres dans un rapport qui permet de cr�er une soci�t� des lettres0. Je suis venu une premi�re fois � Tizi-Ouzou pour La chambre de la vierge impureet l� (19 janvier 2013), NDLR) je suis venu pour Le Dernier Juif de Tamentit et je constate qu�il y a une pr�sence accrue de lecteurs, d�ann�e en ann�e. Un lectorat constitu� de diff�rentes cat�gories socioprofessionnelles, de femmes et d�hommes jeunes et moins jeunes. Cela me donne un aper�u sociologique du lectorat tiziouz�en et me rassure sur l�existence d�une demande de lecture. Malheureusement, le prix du livre reste prohibitif est hors d�atteinte pour le plus grand nombre. Propos recueillis par Sa�d A�t M�barek Bio-express En 1992, Amin Zaoui fut charg� de la direction du Palais des arts et de la culture � Oran. En 1995, suite � des menaces de mort d'un groupe d'extr�mistes islamistes, il fuit l'Alg�rie et trouve refuge en France o� le Parlement international des �crivains de Caen l'accueille. Entre 1995 et 1999, Zaoui enseigne � Paris VIII et ailleurs en Europe. Bilingue, arabe-fran�ais, il publiera Les vagues (1981), Attarras Le Viril (1984), Le Ph�nix et la M�diterran�e (1985). C'est en France, � Caen, qu'il �crit et publie son premier roman en fran�ais : Le sommeil du Mimosa qui sera suivi de Sonate des loupsen 1998, de La soumission(2001). Dans son essai La culture du sang : Fatwas, femmes, tabous et pouvoir' (2003) ainsi que dans ses romans La razzia (1999), Haras de femmes (2001), La soumission (2001) et Les gens du parfum(2003), il d�cortique la soci�t� musulmane pour en d�noncer l'hypocrisie des traditionalistes, la soumission des femmes, la folie des extr�mistes et la pesanteur des tabous. Parmi ses livres �crits en arabe : Une odeur de femme, D�ferlement de vagues. Le hennissement du corps(1985) avait �t� interdit de diffusion et Le huiti�me cielavait �t� br�l� par les int�gristes. Il �crira Festin de mensongesen 2007. En 2000, Zaoui a �t� nomm� directeur g�n�ral de la Biblioth�que nationale d'Alger d'o� il sera d�gomm� en 2010, suite � l'invitation et une conf�rence controvers�e donn�e � Alger du po�te syrien Adonis. La chambre de la vierge impure sera publi� en 2010 qui sera suivi au mois d'octobre de l'ann�e 2012 de Le Dernier Juif de Tamentit.