Beaucoup a été dit et écrit par les médias sur les dramatiques évènements qui ont secoué Ghardaïa jusqu'à récemment encore, et chacun s'en est allé avec son explication des causes de cette violence récurrente dans une région où vivent deux communautés qui s'insupportent et perpétue un climat de conflit larvé qui explose sporadiquement dans une inattendue brutalité. Conflit ethnique ? Invitée samedi dernier par l'association « Le café littéraire » à une conférence sur les événements de Ghardaïa, Fatima Oussedik, professeure de sociologie et chef de l'équipe de recherche « Mutations familiales » au Centre de recherche en économie appliquée au développement (Cread), refusant de donner crédit à cette thèse, rejette cette grille de lecture dont usent à profusion les journalistes. Pour qu'il y ait conflit ethnique, dit-elle, il faudrait qu'il y ait des ethnies. La sociologue, dont les principaux domaines de recherche recouvrent l'identité et le statut de la femme dans le monde arabe et musulman, le multiculturalisme dans le monde méditerranéen, les rapports entre les cultures arabe et berbère, affirme qu'aucun des protagonistes ne répond aux critères qui définissent cette notion. Les Ibadites, dit-elle, ne sont ni ne se définissent comme une minorité ou une ethnie et encore moins comme un isolat social. Le discours sur Ghardaïa la pentapole, précise-t-elle, est complètement dépassé. C'est une vision surannée qui n'existe plus que pour nourrir des velléités de manipulations politiques. Ce n'est plus le territoire de la pentapole mais celui de la wilaya de Ghardaïa qui, outre les Mozabites et les Chaambas, accueille aussi une population déracinée venue de tous les coins du pays. La sociologue, qui a également brièvement retracé pour l'assistance l'origine de ce courant islamique qu'est l'ibadisme, a expliqué que l'Etat national algérien s'est construit depuis l'indépendance sur une déstructuration du tissu social ancien et un effacement identitaire, couplés à une volonté de clientéliser, par la rente, toutes les couches de la population algérienne. Selon Fatima Oussedik, cette politique du vide déployée par le pouvoir central a échoué au M'zab car les Ibadites ont réussi à garder intactes leurs institutions et, étant aussi industrieux que solidaires, à éviter d'être soudoyés par les avantages matériels qu'on leur fait miroiter. La communauté ibadite est ainsi en « contradiction » avec le reste du pays. C'est à cette singularité que les hordes désemparées, informes, des laissés-pour-compte des pouvoirs central et local, s'en prennent par incapacité à s'inventer des formes de combat et de revendication plus fécondes. Durant la guerre, dira la conférencière, « nous étions une nation qui se battait pour son indépendance. Aujourd'hui, on découvre que nous sommes des Chaouis, des Kabyles, des Mozabites, des Touaregs, etc. », c'est-à-dire un conglomérat de populations distinctes tentées par la scission et cette configuration sociale que l'on tente de promouvoir ne profite qu'à ceux qui veulent nous gouverner par la peur, aux catégories qui veulent peser politiquement, ou aux trafiquants en tout genre qui ont besoin que tout se délite dans l'informel. C'est ainsi, constate-t-elle, que le personnage de premier plan en Algérie est le trabendiste, cet « Algérien nouveau » prophétisé dans les années 70. Pour Fatima Oussedik, les évènements de Ghardaïa révèlent l'état du tissu social national dont elle dit qu'il est déliquescent et que cela fait peser de lourdes menaces sur l'avenir de l'Algérie et son intégrité territoriale au regard du contexte régional et international.