Les artistes ont, pour la plupart, immortalisé, dans leurs œuvres (chansons, films, livres...), l'Algérie, les combats et les espérances de son peuple. La troupe du FLN a été un porte-voix de l'Algérie combattante, une légende qu'on se plaît à entretenir et à transmettre aux nouvelles générations. Même sous le régime colonial, l'artiste a su dire, parfois à mots couverts et en paraboles, l'injustice que subissaient les Algériens, combattu les phénomènes qui freinaient son évolution. Bachtarzi, Rachid Ksentini ont été des exemples et au cours de la guerre de libération des hommes comme Akli Yahiatene et Rouiched furent emprisonnés. L'homme de théâtre Habib Réda a même été condamné à mort. C'est à la mémoire de Ali Maâchi, pendu sur une place publique de Tiaret le 6 Juin 1958, que fut instituée la date célébrant chaque année l'artiste. Les artistes ont été affectés par une autre tragédie. La terreur qui s'était installée il y a quelques années dans notre pays a emporté beaucoup d'entre eux. Les balles assassines ont fait taire des chanteurs (Maâtoub, Chebs Azziz et Hasni), des dramaturges (Alloula, Medjoubi). Une méthodique éradication du beau a été entreprise pour faire couvrir la société d'un linceul de laideur. Cette corporation était porteuse de lumière, d'humanisme ou de révoltes dont ne s'accommodent jamais ceux qui rêvent d'uniformité et de bouches cousues. Les mutations qui affectent, en profondeur, la société ont une incidence directe sur l'artiste. Il a perdu un peu de son aura et fait moins rêver. Quel est le film qui, comme Omar Gatlato, fait courir les jeunes d'Alger ? Elles sont peu nombreuses sinon inexistantes ces vedettes qui sont des exemples pour adolescents. Les footballeurs sont passés par là. L'artiste préfère aussi assurer ses arrières et ne plus finir comme beaucoup dans des conditions misérables. Il se découvre aussi des vertus et des capacités d'entrepreneur. A ce propos, le statut de l'artiste qui garantit beaucoup de droits sociaux pour cette frange fragile a été une bonne avancée. L' Onda se fait aussi plus soucieuse des droits d'auteurs. Elle a même entrepris un travail de diffusion des œuvres de nos grands chanteurs dans tous les genres. La figure de l'artiste est pourtant fortement concurrencée par d'autres idoles. La jeunesse se retrouve peu dans les figures du cinéma ou de la chanson devenues, pour la plupart, « des produits jetables ». Certes, aujourd'hui, par la musique, la danse, les déclamations poétiques ou théâtrales les limites de la peur ont reculé. L'artiste ne rase plus les murs. Les Algériens ont repris le chemin des salles de spectacles et s'enivrent de belles prestations. On ne compte plus les groupes qui expriment les attentes, les utopies des jeunes. Les manifestations, les infrastructures où il peut trouver du travail et donner la mesure de son talent se multiplient. Empoigner une guitare, peindre n'est plus surtout ce geste, beau et banal ailleurs, qui expose au risque. Paradoxalement, les défis qu'affrontent les artistes sont nombreux. Ils doivent en premier lieu réinventer leur message et se réconcilier avec la société. La contestation qui fut, à un moment donné une source et une garantie de succès, n'est plus de mode. Il faut d'autres codes. La voix porte, certes, moins dans la société. Le plus grave des dangers est peut être ailleurs. Le piratage des œuvres artistiques menace surtout directement la corporation dont les sources de revenus sont de plus en plus asséchées. Le rêve de l'artiste, son altruisme, ne sont pas des chemins qui doivent mener vers le renoncement. Quelle funeste perspective de voir un jour une société sans chant, ni poésie, ces choses qui entourent nos vies de charme et de joie.