Ce fut le 8 octobre 1957, cinquante-sept ans, jour pour jour, en cette année 2014 depuis le plasticage de la cache où tombèrent en héros Ali, Hassiba, petit Omar et Bouhamidi. Un événement que ce haut fait d'armes des révolutionnaires algériens qui déclenche un retentissement médiatique mondial. A l'échelle internationale et politiquement, ce crime avait accentué la preuve de la barbarie de la France coloniale et de son armée représentée par Soustelle, Salan, Bigeard... Un acte de nazisme. Nombre de responsables politiques et militaires de la France coloniale reconnaîtront, des décennies après l'Indépendance, qu'ils avaient utilisé ou recouru à des méthodes inhumaines et contre les conventions internationales, même en temps de guerre, pour briser la Révolution algérienne, que ce soit dans les maquis, au centre d'Alger ou en métropole. Même les archives sont cadenassées. Avant d'avancer dans cet hommage à Ali La Pointe et ses compagnons, en ces jours de célébration du 60e anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954, il me souvient l'attitude groggy d'un professeur d'un lycée portant le nom de Ammar Ali (Ali La Pointe) lorsque je lui avais posé la question de savoir si les élèves connaissaient l'histoire de ce héros en me « dévisageant », presque penaud, pour me dire : « Moi, professeur d'histoire-géographie, je ne connais que très peu sur l'histoire de ce chahid. On a appris l'histoire que superficiellement. Que dire des élèves des trente dernières années malgré une certaine ouverture dans le traitement réel des évènements de la guerre de Libération nationale. » Un moment de grande perturbation pour votre serviteur qui, à son tour, et malgré le compostage d'une riche documentation sur Ali La Pointe, est resté sur sa « faim » en relevant bien des contradictions et des versions qui nécessitent des éclaircissements en toute urgence. « Des recadrages pour toute l'histoire de cette guerre, entre 1954 et 62 », me disait un historien, insistant sur le temps qui passe et qui a déjà emporté 90% des combattants et acteurs politiques (responsables) dont 99% n'ont pas écrit leurs mémoires ou apporté leurs témoignages. Qui est Ali La Pointe ? « Si tu bloques à dire la vérité n'applaudit pas le mensonge ! » Pourquoi cette citation sur fond d'« ordre-conseil » ? Tout simplement pour que nous ne sombrions ou succombions pas aux versions abracadabrantesques, loufoques ou délirantes sur Ali La Pointe. Et, à travers la documentation, les récits et autres « dits », les « éclairages » s'entrechoquent, à la limite du hallucinant à faire réagir, récemment, sa sœur aînée, Aïcha, habitant Bouzaréah qui se désola des « vérités » (certaines d'entre elles) projetées dans le film « La bataille d'Alger », mais aussi concernant certaines « étiquettes » que la rue algéroise et ses milieux de l'époque ont collé à son frère. Mais il faut reconnaître que Ammar Ali dit Ali La Pointe n'était ni un naïf, ni un ange et encore moins un agneau. « C'était un jeune comme tous les jeunes Algériens de son âge, un peu impulsif, assez rebelle et qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, même face aux colons, police ou gendarmerie ou tout simplement des Algériens qui voulaient ‘'rouler'' des épaules, que ce soit à Miliana ou à Alger », avait confié Aïcha, âgée aujourd'hui de 85 ans, à des journalistes, qui l'avaient sollicitée sur ce sujet. Ali La Pointe était né pour vivre libre. Une nature qu'il développa dès l'école primaire où il aura, déjà des démêlés et accrochages avec les enfants de colons. Ali sera vite exclu de l'école. Une grosse blessure qui le privera du savoir et qui s'ajoute à sa haine des colons. Comme tout adolescent de cette époque où la misère côtoyait les injustices, Ali se débrouillait pour « exister », au même titre que tout Algérien né durant la colonisation. Ali La Pointe était né un 14 mai 1930, date tristement célèbre coïncidant avec le centenaire de la colonisation de l'Algérie, célébré avec faste, arrogance et mépris à l'égard des Algériens. Ali grandira dans des conditions déplorables. Une situation commune à tous les Algériens depuis 1830 à de rares exceptions représentées par les familles « collabos » et « sympathisantes » de la colonisation. A peine adolescent (13-15 ans), Ali La Pointe est déjà un personnage insaisissable voire intransigeant et violent contre l'ordre établi dans son douar à El Annasser au piémont de la ville de Miliana. Même l'armée américaine, un contingent stationné dans les parages, n'échappera pas à ses coups. « Il leur volait des armes ». Arrêté, Ali séjournera à plusieurs reprises dans les prisons qu'on disait « maisons de redressement ». A sa dernière sortie de celle de « Pointe des blagueurs », il débarque à Alger. Il découvre la ville et ses « tentacules », mais aussi ses affres. Il rôde à La Casbah ou dans ses contrebas, quartier de la Marine, Bab El Oued, Square... et allonge le pas vers Bouzaréah et la Pointe Pescade (Raïs Hamidou). Concernant son pseudonyme « Ali La Pointe », deux versions se « chevauchent » ; des gens de Miliana assurent que ce pseudo lui a été collé après sa sortie de la maison de redressement de la « Pointe des blagueurs » alors qu'à Alger, on soutient que ce surnom, il l'a hérité de ses amis, pour ses présences assidues dans le village de Pointe Pescade. Sa vie à Alger est intense, endiablée et surtout dangereuse pour son implication dans pratiquement tous les milieux de ces années folles (fin 1940 et début 1950). Ali s'inscrit d'ailleurs dans une salle de boxe à Bab El Oued pour aiguiser son talent de bagarreur avant de tout lâcher, même sa formation en maçonnerie, pour les métiers de la débrouille dont le bonneteau (rey-rey) et découvre les gangs et tous leurs méfaits, surtout les indicateurs, les faux « macs » et « nababs ». D'un gabarit de fonceur, Ali La Pointe était aussi beau gosse et séducteur des filles des différents quartiers dont quelques-unes lui serviront, plus tard, dans ses activités de fidaï. « Zoubida, cheda fi Allah » sur la main gauche, « Marche ou crève » sur le pectoral gauche et « Tais-toi » sur la plante du pied gauche, des tatouages exploités par la police qui les indiquait sur les avis de recherche sur Ali La Pointe. Ali prend conscience des dégâts du joug colonial avant de quitter son village natal, selon sa sœur et nombre de témoignages, en constatant tous les abus et injustices. Comment pouvait-il ignorer ce statut d'indigène, lui, fils de Ahmed, militant PPA et travailleur exploité comme métayer (khemmas). Ali est aussi un enfant blessé en apprenant que son grand-père, Abdelkader, avait été déporté à Cayenne. L'éveil était précoce chez le garçon Ammar Ali qui s'est imprégné, même dans la rue, des principes de Mohamed Bouras, fondateur des Scouts musulmans algériens et néanmoins voisin des Ammar, puisque natif, lui aussi, d'El Annasser à Miliana. Mais son engagement patriotique se renforcera en prison en début de la guerre d'Algérie. Arrêté après une bagarre (1954), il sera incarcéré à Barberousse où il rencontre des détenus politiques. On lui apprendra que tous ses malheurs sont l'œuvre du colonialisme. Ali change de prison pour arriver dans les murs de la « ferme-prison de Damiette » (Médéa) d'où il s'évade le 2 avril 1955. De Blida, il se rend à Alger avant de reprendre à vivre à La Casbah, un quartier qu'il connaît fort bien. Rapidement, Ali La Pointe est récupéré par les responsables politico-militaires d'Alger. Il sera testé d'ailleurs par Yacef Saâdi avec un pistolet à chargeur vide pour tuer un policier. Depuis, Ali est l'homme de confiance et surtout, l'homme de tous les assauts pour déclencher la Bataille d'Alger, une guerre urbaine au cœur du pouvoir français à Alger pour un plus grand retentissement de l'acte révolutionnaire. Cette stratégie était l'œuvre de Abane Ramdane. Le grand révolutionnaire, Larbi Ben M'hidi, était de la partie, de retour de la wilaya d'Oran. Il fallait très vite passer à l'action. Une tâche ardue parce que conditionnée par l'assainissement des divers « milieux » qui rythmaient La Casbah et ses alentours. Contre le pouvoir colonial, les relais et les traîtres Tout le monde sait que malgré le déclenchement de la Révolution, ce ne sont pas tous les citadins qui y ont adhéré, particulièrement certaines poches de « loubards », d'indicateurs, de « retournés », de mouchards... Toute cette pègre devait, soit rejoindre le FLN soit s'exposer aux sanctions extrêmes des moudjahidine. Ali La Pointe, connaissant toute cette « faune », réussira le nettoyage programmé par Yacef Saâdi qui venait d'avoir l'aval de Abane Ramdane. Dans le film « La bataille d'Alger », tout y est résumé dans l'intervention-avertissement de Ali La Pointe face à un groupe de jeunes : « Dorénavant, la mentalité devra changer à La Casbah » (El aâklia tetbedel...). Dès lors, beaucoup adhèrent à la cause nationale. La bataille fait rage. La zone autonome et ses hommes réalisent de grands coups contre la France coloniale. Ali La Pointe s'avère être un grand baroudeur. Il fonce et s'impose comme l'homme fort de la zone autonome malgré la présence de Yacef Saâdi et d'autres grands noms. L'armée française et son élite, les parachutistes, déploie tous les moyens mais est malmenée par les fidai. Mais les parachutistes arrivent, par grand nombre avec de grands moyens, à harceler et à encercler toute la zone et procéder à des arrestations et des assassinats. Les paras étaient aidés et renseignés par des traîtres résiduels qui « sévissaient » encore à La Casbah. Ben M'hidi est arrêté et exécuté. Yacef sera arrêté le 24 septembre 1957. Zohra Drif aussi. Taleb Abderrahmane... et nombre de cadres de la Bataille d'Alger. Quant à Ali et son groupe, ils arrivent, à chaque souricière, à déjouer les pièges avant de se planquer dans la cache du 5, rue des Abderames. C'était la seule chance. La seule issue même si Ali et ses compagnons savaient que leur situation était sans... issue. Mourir en martyrs ou se rendre. Le groupe avait choisi, dès son engagement dans la Révolution, de ne jamais reculer. De vivre libre ou de mourir dignement. La Casbah retient son souffle. Les murmures fusent. La tension est extrême. La cache du quatuor est désormais localisée par les paras. Comment les versions s'entrechoquent, se « cognent », se multiplient et se « contredisent » depuis ce 8 octobre 1957 même si le témoignage officiel repris par la presse et les essayistes en histoire se rejoignent pour désigner Hassan Ghendriche (Alias Zerrouk), ex-militant FLN et membre influent de la zone autonome qui a tourné casaque pour devenir la taupe du capitaine Leger. Ghendriche (double-jeu) connaît la cache et contacte Ali par courrier auquel il y répond. Le piège se referme sur Ali qui ignorait que Ghendriche était passé dans l'autre camp. Le 8 octobre, ce même Ghendriche est « invité » à montrer la cache de Ali La Pointe. La suite, tout le monde la connaît. Il suffit de regarder le film « La bataille d'Alger ». Le refuge est plastiqué. L'écho violent de l'explosion réveille toute La Casbah et ses quartiers environnants. Ali, Hassiba, petit Omar et Bouhamidi sont morts déchiquetés. On parle d'autres morts, 20 à 70 citoyens, selon les témoignages. Zohra Drif a avancé, récemment, lors d'un hommage à Ali La Pointe et ses compagnons, le nombre de 70 parmi les civils habitant à proximité du refuge. Ce modeste hommage à Ali La Pointe ne saurait constituer un papier-référence sur l'événement qui n'a pas encore révélé tous ses secrets et suscitant toujours des questionnements voire des « thèses » à la limite de la polémique et des accusations entre des acteurs directs de la Bataille d'Alger. Et le droit à la vérité comme le devoir de mémoire se doivent d'éclairer toutes les zones d'ombre de la Révolution algérienne.