Photo : Fouad S. A quelques jours de l'Aïd el Adha, la bulle spéculative bat son plein dans la wilaya de Djelfa. Cette région à vocation agropastorale renommée pour la qualité de son cheptel ovin, attire beaucoup de maquignons en provenance du centre du pays, notamment. Ces derniers font et défont les prix au gré de l'offre et de la demande. Mais, selon les responsables de la direction locale des services agricoles, le marché du mouton ne tardera pas à connaître une tendance baissière des prix compte tenu de la disponibilité du bétail en quantité suffisante. A en croire les supputations des uns et des autres, le sacrifice est, cette année, à la portée des bourses moyennes. Djelfa, capitale de la steppe algérienne et distante de quelque 300 km au sud d'Alger, n'est pas, comme certains citoyens le pensent, le royaume du mouton à bas prix. Mais, une chose est sûre : Les professionnels de la filière sont unanimes à dire que cette wilaya est une véritable place «boursière » où les tendances tarifaires du marché y sont généralement déterminées. Ce rang stratégique qu'occupe Djelfa est tout à fait naturel, compte tenu de sa vocation économique basée essentiellement sur l‘élevage ovin ce qui, par extension, a favorisé l'émergence et la consolidation d'autres segments de la filière, à l'instar du traitement des produits dérivés, la production fourragère et le développement d'un circuit de marchés de moutons. Les chiffres officiels évaluent le potentiel ovin de la wilaya à 2.517.000 têtes, soit largement au dessus de la barre de 10% du cheptel national. «À mon avis, les estimations réelles du cheptel ovin de Djelfa oscillent entre 2,8 millions et 3 millions de têtes», fera savoir un éleveur local. Qu'a cela ne tienne ! Avec cette richesse immense, entretenue de surcroît par des éleveurs ayant hérité la profession de génération en génération, on devrait logiquement espérer, du moins à Djelfa et ses environs, que le tarif de la viande rouge chez le boucher ou bien le prix du mouton soient à la portée des bourses des citoyens au revenu moyen. A priori, dans ce négoce, caractérisé souvent par une tendance haussière des tarifs, ponctuée par ailleurs par des pics notamment au mois de Ramadhan et l'Aïd, la réalité des marchés échappe à toute logique, pire encore, elle semble ne plus obéir à la règle élémentaire de l'offre et de la demande. Le prix de la viande ovine est affiché à 700 DA dans le chef-lieu de wilaya. Les citoyens de la ville apostrophés à ce propos confient que le tarif pratiqué est exorbitant. « On ne demande pas à ce que le kilo chute à 300 ou 400 DA, mais qu'il y ait une petite baisse, de telle sorte qu'on soit en mesure d'agrémenter de temps en temps notre table familiale avec de la viande, car avec un revenu mensuel qui ne dépasse pas les 25.000 DA et quatre enfants à ma charge, sans compter leur mère, je ne peux pas offrir, au moins une fois par semaine, des protéines animales à ma famille » avoue Ahmed, un citoyen de Djelfa travaillant dans le secteur de l'éducation. LES RAISONS DE L'AUGMENTATION DES PRIX À l'instar des autres produits de consommation, la viande n'échappe nullement aux pratiques spéculatives. La hausse des prix des moutons est, selon les éleveurs, la conséquence de l'influence des intermédiaires sur la valeur commerciale. La chaîne de vente des moutons, qui commence de l'éleveur jusqu'au consommateur intègre, dans bien des cas, une succession de maillons. «Il n'est pas étonnant qu'un troupeau de moutons change de main jusqu'à cinq fois avant de quitter enfin le marché. Cette pratique qui s'apparente à tout point de vue à la spéculation engendre inexorablement une flambée des prix», révèle un éleveur. Ainsi donc, la sphère spéculative, en grande partie exacerbée par les maquignons intermédiaires a relégué, si l'on peut dire, la loi de l'offre et de la demande au second plan, à telle enseigne que la marge des bénéfices, qui ne profite pas forcément aux seuls éleveurs, est anormalement disproportionnée, si on prend bien sûr uniquement comme indices basiques le coût de revient du mouton et la demande du marché. «Ces pratiques spéculatives ont rendu par la force des choses les maquignons pareils à des maillons forts de la chaîne commerciale des moutons. Inexorablement donc, leur influence a réussi au bout du compte à maintenir l'inflation», indique notre interlocuteur. En somme, et à en croire toutes les personnes interpellées, à défaut d'une réorganisation de fond des règles du marché, la spéculation demeure un phénomène inévitable. Tout de même, selon Abdelkader, un éleveur de Djelfa, dont le troupeau est constitué en partie de pas moins de 25 moutons, « la courbe des prix imposée par la spéculation évolue généralement en dents de scie. Si on compare, à titre indicatif, les prix de vente des moutons cette année pour la fête de l'Aïd El Adha avec ceux de l'année dernière on s'aperçoit vite qu'ils ont pratiquement stagné. Mieux encore, on peut même assister au cours des prochains jours à une petite baisse des prix qui peut atteindre les 2000 dinars », prévoit Abdelkader. LE MOUTON ENTRE 20 000 ET 50 000 DINARS La cause première qui tirerait les prix des moutons vers le bas, avance ce dernier, est l‘abondance de l'offre. « En prévision de l'Aïd de cette année, un bon nombre d'éleveurs ont réservé, dès l'année dernière, une partie de leurs troupeaux au sacrifice. En conséquence, le marché sera inondé ce qui se répercutera sur l'augmentation de l'offre. Pour autant, il ne faut pas aussi croire que la spéculation va disparaître totalement», ajoute un autre éleveur qui vient de conclure une affaire avec un maquignon d'El Harrach en lui vendant 25 têtes d'ovins. «En moyenne, je vends mes moutons entre 24.000 et 28.000 dinars. Je crois que ces prix son raisonnables, que ce soit pour moi ou pour l'acquéreur », confie-t-il. À Mesaâd, une autre place importante de la vente des ovins dans la wilaya de Djelfa, connaît pratiquement les mêmes cours que ceux du chef-lieu de wilaya. « Ici les prix varient entre 20.000 jusqu'à 50.000 dinars. Il y en a pour toutes les bourses. Par rapport à l'année dernière, on n'a pas enregistré une hausse dans les prix. Bien au contraire, l'offre importante du marché va assurément dans les semaines à venir faire baisser les prix», confie un éleveur de Mesaâd. Selon lui, les deux principales raisons ayant concouru à l'évitement de la tendance haussière des cours est l'existence des fourrages et l'importance de l'offre des moutons sur les marchés. Selon un responsable de la direction des services agricoles de la wilaya de Djelfa, le cours actuel n'est pas uniquement la résultante des deux arguments avancés par nos interlocuteurs. Le comportement du client, donc du consommateur, est un élément déterminant et non négligeable qui influence le cours des prix des ovins. "LE CONSOMMATEUR EST CAPABLE DE RÉDUIRE LA SPÉCULATION !" « À titre illustratif, au premier jour du Ramadhan dernier, les marchés ont été approvisionnés uniquement en petite quantité de viande rouge ce qui a en conséquence créé une certaine rareté, puisque la demande a été nettement supérieure que l'offre. Résultat : les prix ont augmenté. Idem pour le deuxième jour, les prix de la veille ont été maintenus, en revanche l'offre a augmenté, puisque la viande ovine a réapparu comme par enchantement et en quantité sur les étals. Seulement les clients, dans leur majorité, ne sont pas tombés dans le piège, dans la mesure où ils ont pratiquement boycotté ce produit. Au final, les prix ont été revus à la baisse. C'est vous dire l'importance du comportement du consommateur dans la lutte conte la spéculation », affirme Messaoui Mehdi, le directeur des services agricoles (DSA) de la wilaya de Djelfa qui prévoit une stabilité des prix de l'ovin en cette période précédant la fête de l'Aïd El Adha. « La tendance des prix ne sera pas haussière pour cette année et ce à bien des égards », assure-t-il. Il est catégorique sur le rôle important que peut jouer le consommateur pour réduire la spéculation. « Vu les dépenses consenties ces derniers mois par les pères de familles, notamment à moyen et faible revenus, durant le mois de Ramadhan, l'Aïd El Fitr et la rentrée scolaire, le budget qui sera consacré cette année par ces derniers pour l'achat du mouton de l'Aïd est par définition limité. Par conséquent, la marge de manœuvre des spéculateurs serait très réduite ce qui se répercuterait automatiquement sur les prix qui seront revus à la baisse», affirme un autre employé de la DSA. Ainsi donc, en attendant d'assainir d'une manière durable les marchés et de réduire la spéculation, le comportement du consommateur demeure pour l'instant l'une des armes efficaces pour lutter contre le phénomène de la flambée des prix.