Les livres rapportant la vie, l'œuvre et les chefs d'œuvre des grands hommes et femmes de lettres ne sont pas faciles à faire. Y compris pour les biographes passés maîtres dans le genre, lesquels butent, très souvent, sur une production romanesque d'autant plus profuse et multiforme qu'ils finissent à appréhender sous diverses manières. Parce qu'impossibles à synthétiser ou même à comprimer dans un seul ouvrage, fut-il volumineux. Grande spécialiste de Jean El-Mouhoub Amrouche, ayant enseigné de 1962 à 1968, au lycée Franz-Fanon de Bab El-Oued à Alger, Réjane Le Baut, professeur de lettres et titulaire d'une thèse de doctorat à Paris-IV sur le grand romancier algérien (J.A, itinéraire et problématique d'un colonisé, 1988), revient avec la même verve dans un autre gros livre récemment paru aux éditions Chihab, Jean El-Mouhoub Amrouche, Algérien universel. Un ouvrage truffé d'inédits sur le parcours littéraire et le combat mené par l'auteur de « L'Eternel Jughurta » pour l'indépendance du pays, mais dont la réalisation dut à son auteure le parcours du combattant. Amrouche qui occupa une place centrale dans le paysage éditorial et radiophonique en France, à la fois comme journaliste, critique littéraire et poète n'a pas eu droit à la juste reconnaissance plaidée par ses proches et ses lecteurs. « J'ai été reçue par Dominique Aury dans son grand bureau de la maison Gallimard, elle avait été sa secrétaire assistante, trois ans durant (...) D'entrée, elle m'avait déclaré : ‘'son œuvre n'existe pas parce qu'il n y avait pas d'œuvre'' », témoigne l'auteure dans les préliminaires de son étude. Refusant de plier devant la « fatale » sentence de son interlocutrice et « encouragée par Jaqueline Arnaud et le père Jean Déjeux, deux pionniers des études sur la littérature magrébine d'expression française », elle s'en va fouiner et défricher plusieurs sources évoquant l'œuvre gigantesque de l'enfant sage d'Ighil Ali. « Pour établir la biographie de Jean Amrouche, j'ai bénéficié de l'ensemble des manuscrits, brouillons, notes, doubles correspondances généreusement communiqués par son fils Pierre et du manuscrit du journal de Henry Bauchau, poète et psychanalyste belge », poursuit Mme Le Baut qui n'hésite d'ailleurs pas à aller jusqu'à la rencontre des contemporains et des amis du grand poète algérien en quête de précieux témoignages dans l'espoir de pérenniser et mettre en valeur le destin de cet « homme exceptionnel ». « Jean Amrouche avait l'âme de Jughurta, et son chant profond résonne encore, plus de cinquante ans après sa mort. Sa figure tutélaire est aujourd'hui emblématique pour tous ceux qui veulent être (des Pierres vivantes de la Cité des hommes) », conclut-elle dans la préface de l'essai.