Le monde du web bouleverse les normes et habitudes du monde des industries culturelles et créatives. Première branche à subir ce remous, l'édition musicale a été longtemps le théâtre de redéploiements parfois déchirants qui ont ouvert la voie aux nouveaux opérateurs de l'internet pour s'offrir des sociétés de contenus musicaux. Les modes d'accès aux contenus musicaux ont été complètement modifiés, laissant l'industrie musicale se débattre dans les méandres de la dématérialisation, imposée par le monde numérique. Les ventes sur supports physiques semblent de moins en moins faire office de premier choix au niveau des consommateurs qui optent pour d'autres mode d'écoute, comme le relève le site d'information www.itespresso.fr qui rapporte « que le streaming ne cesse de gagner en influence : aux Etats-Unis, principal marché de l'industrie musicale, il a dépassé les ventes de CD en 2014... tout en se rapprochant du téléchargement sur des plates-formes comme iTunes, à en croire les données compilées par la RIAA (Recording Industry Association of America). » La presse écrite n'est en reste dans ce mouvement d'ensemble qui fait bouger les frontières de toutes les branches des industries culturelles et créatives. Elle est confrontée aux dilemmes de la fréquentation et des revenus pour soutenir des modèles économiques à la peine pour leur stabilisation. Les dernières nouvelles rapportées par la presse américaine sur les intentions du géant Facebook de resserrer sa stratégie de distribution des contenus de presse, augure de nouvelles perspectives pleines de questionnements sur l'avenir de l'indépendance éditoriale des titres de journaux qui viendraient à se soumettre aux fenêtres de lecture du réseau social le plus fréquenté au monde avec près d'un milliard et demi d'utilisateurs. A peine les premières révélations connues des tractations lancées par Facebook avec certains titres américains que les analyses et supputations s'intensifient sur les dessous et impacts de la démarche du réseau social auxquels l'ensemble des titres prêtent justement cette intention de devenir éditeur de presse. « Facebook va-t-il devenir éditeur de presse ? », titre le site www.journaldugeek.com dans un papier mis en ligne le 25 mars dernier qui nous apprend que « Facebook serait en négociation avec plusieurs grands médias américains afin qu'ils hébergent une partie de leur contenu directement sur la plateforme », avant de se poser la question existentielle pour la presse de savoir « Est-ce le signe de la vigueur de la presse ou d'une capitulation nécessaire ? » Convaincu des ambitions du réseau social sur l'activité d'édition de l'information, le site, au même titre d'ailleurs que de nombreux autres organes d'information, donne quelques détails sur les manœuvres entamées en coulisses pour faire aboutir le projet de la firme de Mark Zuckerberg, en signalant qu'une « demi-douzaine de médias auraient donc été approchés par Facebook afin de faire héberger leurs contenus directement sur le réseau social et ainsi éviter à l'utilisateur de cliquer sur un lien hypertexte pour accéder au site source. » Au rang des organes démarchés par Facebook, journaldugeek.com mentionne « The Guardian, National Geographic mais aussi Buzzfeed, le Huffington Post, Quartz ou encore le New York Times à l'origine de ces révélations. » Le souci de Facebook est de faciliter l'accès à l'information à ses usagers, notamment ceux qui envoient leurs requêtes à partir de terminaux mobiles, pour améliorer leur « expérience utilisateur ». Le site parle en ce sens d'une « hérésie 2.0 » pour le réseau social le fait pour un usager d'avoir à attendre « un article qui « met 8 secondes à se charger dans un navigateur web ». Ce froncement de sourcils de la marque de Zuckerberg peut s'expliquer par ailleurs, aux yeux de nombreux analystes, par les soucis de fréquentation du réseau social connus depuis quelque temps, particulièrement sur la tranche des jeunes utilisateurs qui, souligne journaldugeek.com « sont beaucoup plus volatiles et enclins à porter leurs intérêts vers d'autres applications, comme Snapchat qui a lancé en début d'année son offre Discover avec plusieurs médias dont Vice, CNN et ESPN. » Pour le site du quotidien français lefigaro.fr, « le progrès constant de la consommation d'infos sur mobile », engendre le fait que « les applications comme Facebook ou Snapchat sont de plus en plus enclines à garder leurs utilisateurs sur leur écosystème ». Il mentionne en particulier le souci pour Facebook « de récupérer des données supplémentaires sur leurs utilisateurs pour faire de la publicité encore mieux ciblée. » Plus généralement donc, Facebook veut ainsi brasser large en offrant des espaces attrayants pour les marques commerciales qui viendraient ainsi valider la viabilité économique du modèle par les revenus publicitaires escomptés. Pour satisfaire la demande des marques commerciales et accompagner les titres de la presse dans leur quête d'audience, le réseau social opte par ailleurs pour des offres de services de diffusion de vidéos, à l'image du service de streaming Youtube de son éternel rival Google, et ce, explique ce site « en incitant les marques et sites d'informations à éditer leurs vidéos depuis la plateforme, promettant une visibilité jamais atteinte en comparaison d'une vidéo hébergée sur Youtube par exemple. » Connue de tout le monde, la rivalité entre les deux géants américains de l'internet trouve une nouvelle expression dans ce combat pour la cristallisation des revenus publicitaires autour de services vidéo dont la demande est en continuelle progression, soulignant ainsi la nouvelle stratégie qui consiste à faire de la vidéo « un eldorado en matière de revenus publicitaires pour Facebook, d'autant plus depuis que la firme a introduit « l'autoplay » sur sa plateforme, soit la lecture automatique. » Mais si l'affaire qui semble proche d'une conclusion, notamment avec le New York Times, peut vraisemblablement s'avérer une belle opportunité pour Facebook, l'est-elle également pour les titres de la presse écrite sollicités ? « Comme dans toutes les relations de dépendance, les médias sont à la fois tentés par la force d'attraction de Facebook et méfiants face à son pouvoir », analyse le site du quotidien français lefigaro.fr, selon ces « médias et Facebook ne font pas jeu égal dans ces négociations. Tous les médias en ligne ont besoin de Facebook, mais Facebook n'a pas besoin de tous les médias en ligne. » Les craintes des observateurs est de voir les contenus de la presse soumis aux aléas et désidératas des algorithmes de Facebook seuls à décider quels contenus mettre en avant, à quel moment et sous quelles conditions. Des risques sérieux sont à redouter sur un traitement inique des contenus qui découlerait des calculs marketing de la firme dont les algorithmes rythment le mode de fonctionnement, comme le fait remarquer lefigaro.fr qui met en garde contre le fait que par « un simple changement d'algorithme, que le réseau social garde secret, il peut favoriser un certain type de contenu au détriment d'un autre », illustrant cette hypothèse par le constat que des « médias ont d'ailleurs constaté une baisse de leur trafic en provenance de Facebook lorsque le site a commencé à mettre en avant les vidéos directement téléchargées sur la plateforme, qui génèrent de plus forts revenus publicitaires. » Les négociations se font en rangs dispersés avec Facebook, mais le souci est commun aux différentes professions de la presse qui tentent de trouver une parade à cette nouvelle perspective de collaboration entre la presse et les réseaux sociaux dans laquelle beaucoup veulent s'engouffrer mais avec des garanties de ne pas y laisser trop de plumes. A en croire lefigaro.fr, « Les groupes de presse sont donc loin de se jeter tête baissée dans un partenariat avec le réseau social de Mark Zuckerberg », citant des informations du New York Times qui évoque « des employés du Guardian qui seraient plus favorables à une coalition de médias pour avoir un poids plus important dans les tractations avec Facebook. » D'autres questions sont soulevées d'autre part sur les gains réels que pourraient escompter les titres engagés dans ce partenariat. Les données de navigation constituent en effet un enjeu important pour les organes de presse qui se battent pour leur collecte et qui, aux yeux du journaliste du site journaldugeek.com « ont une valeur importante pour eux s'ils veulent augmenter leurs revenus publicitaires, mais également analyser le comportement de leurs lecteurs. » Il est également question des perspectives de monétisation des scores de fréquentation, car les titres de la presse auront les yeux rivés sur les impacts en termes de suivis des liens. Comme l'explique ce même site, il est vrai que les articles auront une plus grande visibilité sur le réseau social, mais, écrit-il, « il reste important que l'article soit partagé », car il estime que « si l'utilisateur n'effectue pas l'action de cliquer sur le lien hypertexte pour être dirigé vers le site source, quel intérêt pour le média ? » Facebook a certainement anticipé ce souci, car il a intégré dans sa panoplie de négociation la possibilité de reverser aux titres participants « une part non négligeable des revenus publicitaires générés sur sa plateforme », dit lejournaldugeek.com qui fait ainsi le lien avec le souci de Facebook « d'éviter l'ouverture d'un lien vers un autre site, ce qui aurait pour effet de ralentir l'expérience utilisateur. » En contrepartie de cette offre de rétribution, le réseau social imposera sans nul doute des conditions et formats d'hébergement des articles qui seront essentiellement articulés autour du souci de la rapidité de remontée des pages pour consultation. Certains analystes n'ont pas omis de soulever la question des titres ne participant à cette nouvelle forme de partenariat imposée par Facebook. Connaissant les logiques de programmation des algorithmes de Facebook, ils ne s'étonnent pas de les voir noyés dans les méandres de la logique du référencement propre à Facebook et à d'autres géants du net dont la seule logique est celle du chiffre d'affaires. En effet, pour le site www.gizmodo.fr « au-delà de l'appât financier, Facebook serait désormais à même de choisir les types de contenus qu'il publiera puisque si le réseau a effectivement besoin de la presse, il n'a pas besoin de toute la presse... Rien ne saurait garantir qu'un type ou un format d'information particulier ne se retrouve préféré par les algorithmes du géant du web. » La nouvelle offre de Facebook n'a pas encore livré tous ses dessous et ses impacts sont certainement à prévoir sur le développement du modèle économique de la presse écrite, dont le rôle de médiation social semble émigrer de jour en jour vers le monde du web et du numérique.